Petite synthèse issue de différentes lectures (Sri Sri Anandamurti, Ramesh, Wikipedia,…)
La définition scripturale du tantra est Taḿ jád́yát tárayet yastu sah tantrah parikiirttitah [« Le tantra est ce qui libère une personne des liens de la staticité »]. Taḿ est la racine acoustique de la staticité.
Le tantra a également une autre signification. Le verbe racine sanskrit tan signifie « s’étendre ». Ainsi, le processus pratique qui mène à l’expansion et à l’émancipation qui en résulte est appelé tantra. Le sadhana et le tantra sont donc indissociables.
À proprement parler, les connaissances théoriques ne peuvent être qualifiées de tantra. Le tantra est une science pratique. Par conséquent, dans le tantra, l’importance des connaissances livresques est secondaire. Le processus pratique du tantra commence par le physique. Il progresse vers le physico-psychique, puis vers le psycho-spirituel, pour aboutir finalement à [la position spirituelle suprême], l’enracinement dans l’átma [soi]. [Ce processus scientifique le distingue de nombreuses autres écoles.]
Sri Sri Anandamurti
Tantra : une science sacrée de l’union et de la transformation
Le tantra est une voie spirituelle à la fois mystique et incarnée, née en Inde autour du Ve siècle, mais qui puise probablement ses racines dans des traditions antérieures, notamment les cultures dravidiennes et les cultes pré-védiques de la Déesse Mère. Le terme sanskrit tantra combine les racines tanoti (expansion) et trayati (libération) : il désigne un système visant à l’expansion de la conscience et à la libération de l’âme par des moyens intégrés et puissants.
Contrairement à une lecture occidentale souvent réductrice centrée sur l’érotisme ou la sexualité, le tantra est une voie de transformation intégrale de l’être humain. Il propose d’embrasser la totalité de l’expérience humaine — corps, émotions, énergie, esprit — pour éveiller la conscience de l’absolu au sein du relatif. En cela, il se distingue des approches dualistes ou ascétiques : rien n’est à rejeter, tout peut devenir support de l’éveil si l’on sait voir avec les yeux du sacré.
Le tantra reconnaît que l’énergie primordiale du monde est Shakti, le principe féminin divin, en mouvement. Elle est inséparable de Shiva, conscience pure, immobile et éternelle. Ensemble, ils représentent l’union fondamentale entre l’énergie et la conscience, entre le monde manifesté et l’absolu non-duel. Leur danse cosmique est l’image même du chemin tantrique : une réconciliation des polarités en soi et dans le monde.
Une voie non-duelle centrée sur la puissance du corps et de l’énergie
Alors que les traditions védiques exaltaient le retrait du monde et la conquête de l’ascèse, le tantra propose une autre voie : le corps comme temple, le désir comme véhicule, l’émotion comme porte, l’énergie comme feu de transmutation.
Le tantrika (pratiquant du tantra) ne fuit pas la matière : il l’embrasse, il la sacralise. Le corps subtil – composé des chakras, des canaux (nāḍīs) et de la kundalinī – y joue un rôle central. En cultivant la présence dans les sensations, en purifiant les canaux énergétiques, le pratiquant apprend à faire circuler l’énergie vitale en lui et à s’ouvrir à des états de conscience élargis.
À la différence du Vedānta ou du Sāṅkhya, le tantra ne voit pas le monde comme illusion (māyā) à fuir, mais comme manifestation du divin. Cette reconnaissance du sacré dans tous les aspects de la vie (alimentation, sexualité, relation, contemplation) fait du tantra une voie de l’immanence, où la réalité tout entière devient un terrain d’éveil.
Des pratiques puissantes et intégrales
Le tantra s’appuie sur un ensemble de pratiques sophistiquées qui activent les dimensions corporelles, énergétiques, mentales et symboliques de l’être :
- Mantra : formules sacrées, souvent transmises oralement par un maître, chargées d’énergie et de vibration subtile. Leur répétition (japa) calme le mental et établit une résonance avec les archétypes divins.
- Yantra : diagrammes géométriques représentant des déités ou des forces cosmiques. Le plus célèbre est le Śrī Yantra, mandala de la Déesse, symbole de l’unité dynamique de la création.
- Mudrā et Bandha : gestes sacrés et contractions énergétiques qui scellent l’énergie dans le corps et dirigent le prāṇa vers des centres subtils.
- Nyāsa : technique de visualisation et d’imposition mentale de mantras dans différentes parties du corps, éveillant la divinité dans la matière même.
- Pūjā : rituel de vénération où les éléments symboliques (eau, fleurs, feu, encens, sons) sont utilisés pour honorer la présence divine. Dans le tantra, la pūjā peut devenir un acte érotique sacré, dans les formes les plus avancées de la pratique.
Ces outils ne sont pas que des techniques : ce sont des clés vibratoires qui ouvrent des états de conscience modifiés et permettent à l’énergie de circuler dans le corps subtil, préparant l’éveil de la kundalinī, cette force dormante lovée à la base de la colonne vertébrale.
Les différentes voies tantriques : symbolique ou transgressive
Dans la tradition tantrique, deux grandes orientations coexistent :
- Dakṣiṇācāra : la voie de la main droite, plus symbolique et ritualisée. Elle utilise les archétypes, la dévotion, la récitation de mantras et la visualisation intérieure. C’est la voie la plus répandue aujourd’hui dans le yoga tantrique néo-traditionnel.
- Vāmācāra : la voie de la main gauche, plus secrète et transgressive. Elle peut inclure la consommation ritualisée de substances interdites (viande, vin, relations sexuelles rituelles), mais toujours dans un cadre codifié, initiatique, et avec un but de transmutation alchimique. Ces pratiques visent à briser les conditionnements sociaux et mentaux pour accéder à un état de pure liberté intérieure.
Dans les deux cas, le but n’est jamais l’extase en soi, mais la reconnaissance du Soi dans chaque expérience, même dans les plus intenses ou les plus dérangeantes.
Tantra et bouddhisme : la voie du Vajrayāna
Le tantra a profondément influencé le bouddhisme tibétain, où il a donné naissance à la voie du Vajrayāna, ou véhicule adamantin. Le Vajrayāna propose une méthode rapide mais exigeante pour réaliser l’éveil, fondée sur la transformation des émotions en sagesse.
Dans cette tradition, le corps subtil est utilisé comme support de méditation à travers :
- les mandalas de déités méditées ;
- les visualisations complexes ;
- les mantras liés à chaque déité (Tārā, Avalokiteśvara, Vajrayoginī…) ;
- les yogas internes, dont certains incluent des pratiques sexuelles tantriques (yoga de l’union).
Ces pratiques sont toujours accompagnées de préparations longues, d’initiations par un maître (lama), et d’un cadre éthique rigoureux. L’un des objectifs du Vajrayāna est de reconnaître que chaque phénomène est vide de nature propre, mais plein de sagesse lumineuse.
Une voie actuelle pour un monde en mutation
Le tantra est plus qu’un ensemble de techniques ou de croyances : c’est une attitude intérieure, une philosophie incarnée qui honore la vie dans toutes ses dimensions. Dans un monde où l’on cherche à se reconnecter au vivant, à l’énergie, au sacré, le tantra offre une voie d’union entre ciel et terre, entre esprit et matière, entre soi et le monde.
C’est une science intérieure du sacré, capable de transformer la vie ordinaire en espace d’éveil, à condition d’être pratiquée avec respect, intégrité et conscience.