Sabine Rabourdin juillet 2024
Article à lire en écoutant “Om mani padme hum spectrum » avec des oreillettes si possible… https://www.youtube.com/watch?v=DN1iqkPVpGs
Cet article est en lien avec le stage Rencontre avec la transe.
Signification
Le terme transe, vient de transir, qui, au Moyen Âge, signifie « partir », « passer », « s’écouler ». Il vient du latin transire : « traverser ». Son étymologie véhicule l’idée d’un passage notamment entre les différents niveaux de conscience et entre les monde visibles et invisibles. Quant à « transcendance » (et non pas transe en danse) le terme vient du latin transcendere : « franchir », « surpasser ». Si la transe désigne le passage, la transcendance désigne le fait d’être passé… La transe est donc un chemin vers la transcendance.
Inducteurs
Le jeûne, la solitude, la privation, l’exposition au danger, au froid, à la soif, à la chaleur, au manque de sommeil, l’ingestion de plantes psychoactives, les méditations profondes, sont communément utilisés pour solliciter la transe dans les cultures traditionnelles. De manière plus accessible, la transe peut simplement être induite par un rythme, un battement répétitif initiateur qu’il soit déclenché de différentes façons : mouvements, danse, percussions, chants, souffle, prières ou mantras. La transe auto-induite mise au point par Corinne Sombrun est basée sur l’induction d’un rythme, un son, mouvement ou autre élément personnel qu’un individu rencontre à l’entrée dans la transe et qui peut devenir un inducteur de transe personnel. L’origine de la transe, son déclencheur, réside toujours dans cet instant de rupture plus ou moins fort parfois comparable à une déstructuration mais parfois simple modification de perceptions[1].
Dissocié ou possédé ?
La transe se libère dans un extrême lâcher prise. La désorganisation du moi est le moment clef, le passage révélant un océan de possibles court-circuitant les mécanismes associatifs[2] pour amener du dissociatif. Dissocié de quoi ? Du moi qui veille. Le moi se « fond » dans l’esprit possesseur pour le possédé, tandis qu’il est « mis en retrait » pendant son voyage dans le monde des esprits pour le chaman, ou par une dimension supérieure de soi pour le mystique, ou une partie de soi rarement contactée pour le novice.
Réorganisation du moi
La transe participe de la surprise dont Nathalie Depraz[1] découpe les étapes en :
- Suspendre : croyances, habitudes, fonctionnements
- Rediriger : redirection de l’attention, observer le processus, à travers un regard réflexif sur soi-même. Cette redirection fait suite à la confusion.
- Accueillir : accueil de l’expérience, laisser la vie agir à travers nous, circuler
L’expérience de transe est au centre de la réorganisation du moi. L’expression spontanée du corps libère des décharges, manifestations énergétiques vers une harmonie d’un axe retrouvé. La désorganisation du moi permet la levée de mécanismes de défense. Le corps connait le chemin. La transe permet aussi de nouveaux circuits neuronaux dont les anciens chemins facilitaient l’apprentissage. La transe est ainsi créative.
La transe au début est rarement une partie de plaisir car il y a sacrifice d’une part du Moi, grâce à l’affront du lâcher prise, avec son cocktail d’inconfort, dont le mal être diaphragmatique est la barrière la plus évidente. Mais c’est le prix de l’extase. Le passage du diaphragme est la clé, gardien du passage : y aller doucement ou en force ? Il peut y avoir réactions du système neurovégétatif entrainant des convulsions. L’apaisement consécutif à une décharge peut être comparé à un orgasme. La transe n’offre pas d’emblée cette ouverture vers l’extase. Certains exercices autorisent une libération sans déchainer cette force fulgurante.
[1] La Surprise, Crise dans la pensée, Natalie Depraz, Seuil, 2024
Chemin vers l’extase
La transe favorise la rencontre avec des parties de soi et du monde, par un changement de perceptions, un développement de l’intuition, la vision et aussi l’extase. L’extase ou « ek stasis » voulant dire « hors de l’état » est un des effets de la transe, l’étape sensorielle la plus cruciale. Mircea Eliade dans Rites et symboles initiatiques, nous dit que l’expérience de l’extase fait partie du potentiel humain dans son évolution vers la conscience. « La verticalisation de l’être implique les transes, celles-ci accompagnent les mutations qui s’opèrent au fur et à mesure que l’Homme passe d’un champ de conscience à un autre, d’une qualité de connaissance à une autre plus élevée, car toute énergie puisée dans les profondeurs obscures de l’être et intégrée dans ce passage, donne son information »[3].
Différents degrés de transe
L’état de transe peut être plus ou moins spectaculaire : marche sur le feu, inhibition de la douleur, visions, médiumnité, extra-lucidité, ou d’autres manifestations d’un changement d’être et de perception. « Habité d’une force et d’une endurance extraordinaires, un danseur de la Sun Dance (danse du soleil en Amérique centrale) peut continuer pendant des jours sans boire ni manger, le fakir s’allonge sur des clous, le mystique vit la passion du christ dans une catharsis couvrant son corps de stigmates »[4]. L’état de transe se décline avec différents niveaux d’intensité, sans pour autant que les manifestations soient proportionnelles à la puissance de l’expérience vécue par le protagoniste. Les indicateurs physiques renseignent cependant sur les différents degrés de transe, et l’on distingue ainsi la transe légère, moyenne ou profonde. En hypnose, la transe profonde est utilisée dans l’hypnose de spectacle qui produit des effets spectaculaires, tandis que la transe légère est utilisée en thérapie sans manifestation physique importante. Et pourtant le travail sur soi est ici plus profond dans la transe légère que la transe profonde.
Voici différentes manifestations indicatrices de la transe
- Ralentissement de la respiration et du rythme cardiaque
- Variation de couleurs sur le visage (rougeâtre ou pâle)
- Aplatissement des muscles du visage et plus généralement une modification du tonus musculaire
- Regard fixe et variation du diamètre de la pupille
- Disparition ou augmentation de la salivation et de la déglutition
- Lenteur d’élocution et voix altérée
- Littéralisme : le sujet prend au pied de la lettre ce qu’on lui dit (peut-être lié à l’économie de mouvements)
- Comportement de réveil en sortie de transe : clignements d’yeux, frottement des yeux par exemple
- Bâillements
- Frissons
Comment mesurer les degrés de profondeur de transe ?
Il n’existe que peu d’échelles mesurant les degrés de transe.
Barbara Schasseur[1] distingue différents niveaux de transe : force, qualité, acceptation du moi.
- Premier niveau : purement énergétique, libérant les blocages, faisant voler en éclats les nœuds de la structure corporelle. Il touche la personnalité superficielle et les résidus émotionnels.
- Deuxième niveau : le moi rejoint le collectif à travers des images archétypales. S’y joue le théâtre du moi, le mythe personnel, la réalité archétypale.
- Troisième niveau : il s’agit d’un travail avec la réalité pulsionnelle.
- Puis les autres niveaux sont des niveaux d’absence de moi, plus mystiques. Ils touchent à l’extase, à travers des sensations d’apaisement, de joie, de pureté, d’unité.
[1] Op.cit
Les échelles de transe les plus courantes sont les échelles de degrés d’hypnose. L’hypnose est un état de transe qui se manifeste sous le guidage d’un praticien, ou bien en auto-hypnose (mais dans ce cas, la transe reste assez légère).
Parmi les échelles de mesure de l’hypnose, l’échelle de DAVIS et HUSBAND (1931) n’est plus tellement utilisée scientifiquement mais elle a le mérite de différencier la transe légère, moyenne et profonde, donc pratique pour un praticien qui aurait besoin d’un découpage simple.
Profondeur | Degrés | Symptôme |
Réfractaire | 0 | |
Hypnoïde | 1 2 3 4 5 | Relaxation Battement des paupières Fermeture des yeux Relaxation physique complète |
Transe légère | 6 7 10 11 | Catalepsie oculaire Catalepsie des membres Catalepsie rigide Anesthésie (main gantée) |
Transe moyenne | 13 15 17 18 20 | Amnésie partielle Anesthésie post-hypnotique Changements de personnalité Simples suggestions post-hypnotiques Illusions kinesthésiques, amnésie totale |
Transe profonde (somnambulisme) | 21 23 25 26 27 28 29 30 | Capacité d’ouvrir les yeux sans modifier la transe Suggestions post-hypnotiques fantaisistes Somnambulisme complet Hallucinations visuelles positives post-hypnotiques Hallucinations auditives positives post-hypnotiques Amnésies post-hypnotiques systématisées Hallucinations auditives négatives Hallucinations visuelles négatives, Hyperesthésies |
L’échelle du NGH (National Guild of Hypnotists) est davantage utilisée et plus adaptée aux usages médicaux.
Catégorie | Test | Applications |
1\. Hypnoïde | Catalepsie des yeux | Arrêter de fumer, perdre du poids |
2\. Catalepsie mineure | Catalepsie du bras | |
3\. Catalepsie totale | L’amnésie sélective | Psychothérapie, spectacle |
4\. Amnésie totale | Analgésie | Dentisterie |
5\. Somnambulisme | Hallucinations positives | Accouchement |
6\. Somnambulisme profond | Hallucinations négatives | Chirurgie légère |
7\. L’état Esdaile | État catatonique | Chirurgie légère |
8\. L’état Abysse (Sichort) | Hyper relaxation | Guérison de 6 à 10 fois plus rapide |
9\. L’état Expansion (Height) | Hyper relaxation |
[1] Barbara Schasseur, Transe et thérapie: Sur les traces de Dionysos, 2011, L’Harmattan.
[2] Pierre Yves Albrecht, Entrons dans la transe, le voyage de vérité, 2012, Vega
[3] Annick de Souzenel, préface à Entrons dans la transe, le voyage de vérité, Pierre Yves Albrecht, 2012, Vega.
[4] Barbara Schasseur, Transe et thérapie: Sur les traces de Dionysos, 2011, L’Harmattan.