Akasha (le cinquième élément) dans l’Inde classique

(image Chantal Joumel)

Présentation du mémoire de recherche de Sabine Rabourdin au colloque du SARI Juin 2012

 

Comment expliquer la présence d’Ākāśa dans certaines théories de la connaissance de l’Inde ancienne ? Parmi les écoles de pensée classiques indiennes, les philosophies jaïnistes, bouddhistes, et carvakistes ne comptaient que quatre éléments de base : l’eau, la terre, le feu et l’air. Les écoles Sāṃkhya, Nyaya, et Vaiśeṣika en comptent un cinquième : Ākāśa. Pourquoi lui avoir attribué notamment la capacité unique d’être le support du son (śabda) ? Pour tenter de répondre à ces questions, je me suis intéressée à l’école de pensée du Vaiśeṣika. J’ai choisi cette école parce qu’elle propose un cadre de description des propriétés de la matière et une métaphysique, associée à une logique. Si vous vous questionnez sur le lien avec le thème de ce colloque, Ākāśa nous introduit dans l’univers de pensée sur l’espace comme nous allons le voir. Mais tenter de faire correspondre cet espace à nos visions modernes serait nous éloigner de l’importance de la substancialisation de l’espace et du temps dans l’histoire de la pensée indienne.

 

Le Vaiśeṣika, histoire et philosophie

 

Le Vaiśeṣika est l’une des six écoles de philosophies orthodoxe (darsanas) de l’Inde ancienne. Le premier compilateur connu du système de philosophie Vaiśeṣika fut Kanāda (v.-300) qui est supposé avoir rédigé les Vaiśeṣika sūtras (V.S). Le plus connu des commentateurs est Praśastapāda (v. +530). De nombreux commentaires ont suivi. Comment faire une étude conceptuelle par exemple sur Ākāśa, avec tous ces feuilletages d’interprétation ? Une des possibilités est de faire une analyse historique et philologique du concept à travers ces différents commentaires. Une étude historique des sources et des commentaires est disponible dans l’ouvrage Nyāya-Vaiśeṣika de Bimal Krishna Matilal[1]. Je choisis dans le cadre court de ce mémoire de faire plutôt une analyse philosophique en s’intéressant prioritairement aux concepts, même si bien sûr, l’étude historique en est une donnée essentielle. Ma démarche consiste à interroger le rôle d’Ākāśa dans un tel système philosophique, mais en resituant au mieux de mes possibilités ces questionnements dans leur contexte historique. J’ai bien conscience qu’une étude plus poussée nécessiterait davantage de travail d’histoire et de philologie, notamment à travers une étude critique des commentaires et de leurs traductions.

 

Pour le Vaiśeṣika, il s’agit de résumer, classer et consigner les phénomènes pour obtenir un juste savoir de la nature réelle des objets et du soi. Le terme Vaiśeṣika provient du mot viśeṣa (différence, particularité). La philosophie du V.S se base sur 6 unités ontologiques de base ou «catégories » (padārtha पदार्थ) : substance (dravya), qualité (guṇa), l’action (karma), l’universel (Sāmānya), particularité (viśeṣa) et inhérence (Samavāya)[2]. Les 9 substances du Vaiśeṣika sont les constituants irréductibles et indestructibles du monde[3]. L’inhérence est ce qui relie une cause et son effet, le tout et les parties, une substance et ses qualités. Les quatre substances «atomiques» (mahabhutas), à savoir la terre, l’eau, le feu et l’air, se produisent sous deux formes: éternels (nitya) et sous la forme non éternelle (anitya) d’objets constitués d’atomes. Chacune est associée à l’un des cinq organes des sens. Les cinq autres substances « non-élémentaires » sont Ākāśa, diś (la direction, l’espace géométrique), kala (le temps), manas (le mental) et atman (l’esprit). (Il est à noter ici que diś est un autre élément en relation avec la notion d’espace, mais alors qu’ Ākāśa semble se référer au contenu de cet espace, diś est davantage en lien avec l’idée de lieu et de direction.) Le VS est connu pour présenter un élément invisible et intangible, qui est appelé aṇu ou paramaṇu selon qu’il prend ou non une forme tangible. C’est la plus petite dimension possible d’une particule élémentaire. Cet aṇu a souvent été traduit par « atome ». Les atomes sont imperceptibles et leur existence est déduite du processus de division et du refus logique de la régression à l’infini[4].

Les  373 sūtras du Vaiśeṣika Sūtra sont regroupés en 10 chapitres, divisés chacun en deux leçons.

Analyse d’Ākāśa dans le Vaisiseka

 

J’étudie certains sūtras du chapitre 1 du livre 2 du Vaiśeṣika Sūtra – et de ses commentaires « Upaskāra » par Śankara Miśra (XVème siècle) et « Vivṛitti » par Jayanārāyana. J’ai choisi ces sūtras – car ils s’intéressent à l’inférence d’Ākāśa et permettent de déceler ses caractéristiques. Ils détaillent en particulier sa relation au mouvement et au son, et nous amènent à nous demander lequel de ces éléments est le plus révélateur de l’existence d’Ākāśa…  J’ai cependant bien conscience que le cadre limité de ce mémoire ne me permet pas d’étudier d’autres sūtras, qui mériteraient pourtant une étude approfondie pour appréhender plus précisément ce que recèle Ākāśa.

 

L’analyse des sutras suivant provient de quatre sources différentes (traductions et commentaires).

  • The Vaiśeshika aphorisms of Kaṇāda with comments from the Upaskāra of Śankara Miśra and the Vivṛitti of Jayanārāyana-Tarkapaṅchānana / tr. by Archibald Edward Gough / Benares : E.J. Lazarus & co.; [etc., etc.] , 1873
  • The Vaiśeṣika sūtras of Kaṇāda, with the commentary of Śāṅkara Miśra and extracts from the gloss of Jayanārāyaṇa. Notes from the commentary of Chandrakānta, tr by Nandalal Sinha, Allahabad, Pāṇini Office, 1911, Reprinted: The Sacred Books of the Hindus, Vol.v1.The Panini Office, Bhuvaneswari Asrama, Allahabad, 1923. AMS Press, New York, 1974.
  • The Vaiśeshika sūtras of Kaṇāda, with the Commentary of Candrananda, Critically Edited by Muni Sri Jambuvijayaji Oriental Institute, Baroda, 1961
  • The Vaiśeshika sūtras of Kaṇāda, translated by Debashish Chakrabarty, DK printworld, Delhi, 2003

 

Ākāśa et le mouvement : une rivalité entre école qui souligne les spécificités d’Ākāśa

2.1.20 Niṣkramaṇam praveśanam ity ākaśasya liṅgam

(j’introduis volontairement des espaces entre les mots pour une meilleure visualisation des parties de la phrase).

« Entrée » et « sortie », telle est la marque d’Ākāśa

 

2.1.21

Tad aligam eka dravyatvāt  kharmmaa

Cela [pravesanam et niskrmana] n’est pas une marque de l’existence d’Ākāśa car une action n’est inhérente qu’à une [seule] substance.

 

Le premier point surprenant concerne l’usage de « lingam » : la marque, le signe d’Ākāśa. Chaque qualité est inhérente à une substance. Une substance ne peut être appréhendée sans qualités mais une qualité ne peut exister sans sa cause première, qui est la substance. Il s’agit donc de trouver quelle qualité, quel effet perceptible peut nous faire remonter à Ākāśa.

 

Pour certains commentateurs, -iti- se réfère au sūtra 1.1.7 “L’action englobe l’acte d’envoyer en haut, d’envoyer en bas, la contraction, l’expansion et le déplacement sur une ligne droite[5]. Pourquoi alors ne pas avoir dit que karma est le signe d’Akasa ?

Mais « iti » peut aussi introduire une citation. Ce sūtra exprimerait, selon les commentateurs, le point de vue des philosophes du Sāṃkhya pour qui le mouvement[6] des substances (tels que leur sortie et entrée,…) est impossible sans l’existence d’Ākāśa. Il y a deux manières de prendre en compte dans le sūtra 2.1.21 le mot « eka » (un). Si l’on traduit eka par « une » simplement  « une action n’est inhérente qu’à une substance», qui est la traduction d’E.Gough[7], on aboutit à un paradoxe, car Ākāśa est bien une dravya, une substance. C’est l’une des 9 substances. A moins que soit sous-entendu « substance tangible » tel que le propose le commentateur  Misra. Ce dernier insiste sur le fait que l’action ne peut se produire que dans les substances tangibles – en fait, selon le Vaiśeṣika, elle ne se produit que pour les 4 éléments et l’esprit (manas) (voir tableau yy). Akasa n’est donc pas une substance tangible et solide. Soit comme seule substance[8]: « Cela [pravesanam et niskrmana] n’est pas une marque de l’existence d’Ākāśa car une action n’est inhérente qu’à une [seule] substance ». Il faut alors entendre que l’action d’entrée et sortie est déjà la marque d’une autre substance, donc, elle ne peut être celle d’Ākāśa. En fait, l’action est présente dans les substances tangibles, donc dans plusieurs substances. Il faut donc entendre différemment ce sutra. Veut-il dire qu’une action ne se produit que dans une substance à la fois, comme le pense le VS[9]

Donc, la réfutation de cette idée attribuée au Samkhya reposerait soit sur l’argument qu’Akasa n’est pas une substance tangible, soit sur l’argument qu’une action ne se produit au même moment que dans une seule substance, or Akasa étant absolument pénétrant…

Quelque soit le sens de cette réfutation, il me semble qu’il faut plutôt s’intéresser à deux éléments parculièrement surprenants dans ce sūtra :1. la référence à une autre école de pensée, 2. l’évocation de deux mouvements (entrée et sortie) spécifiques plutôt que le mouvement (vega) ou l’action (karma) en général.

  1. Dispute d’école

D’après mes recherches[10], il s’agirait non d’une polémique avec le Sāṃkhya mais avec les bouddhistes[11]. On peut néanmoins comprendre le couple « entrée-sortie »,  « signe caractéristique » d’ Ākāśa, « comme condition de possibilité de la dualité dedans/dehors ou  intérieur/ extérieur, c’est-à-dire comme spatialité en général; une notion, à vrai dire, commune aux darshanas brahmaniques et non spécifique du Sāṃkhya. »[12] On comprend donc que ce sūtra introduit une polémique plus large qui s’interroge sur la spatialité en termes de dualité. Pourtant, le Vaiśeṣika est bien plus une différentialité qu’une dualité. Il catégorise les éléments, mais ne les oppose pas. Ce sūtra est donc d’autant plus troublant.

Il n’est pas sans évoquer cependant une divergence bien connue entre les Bouddhistes et les autres écoles indiennes. Les premiers[13] développèrent une approche analytique donnant la prépondérance à une image de l’existence discontinue[14]. A l’opposée, l’Advaita Vedanta par exemple avec son principe de l’identité continue du Brahman et de l’atman (sujet-objet). Or, l’approche du Vaiśeṣika doit être placée[15] entre les deux. Comme les Bouddhistes, il accepte une division analytique, la “quantification” de la réalité dans leur conception atomiste (aṇu, paramaṇu) de la matière,  tout autant que leurs idées sur les unités de temps, d’espace (praseda), et de mouvement. V.Lysenko a nommé cette approche, “un mode de pensée atomiste”(cf. Lysenko 1986, 1993, 1994). D’un autre côté, le Vaiśeṣika a intégré une réalité continue à travers ce concept d’une substance totalement pénétrante, éternelle, comme Ākāśa.

Avec Ākāśa, les objets ne sont pas absolument distincts, ils ne sont pas comme les atomes de Démocrite séparés par le vide. Ils sont des parties d’un tout continu, connectés non seulement entre eux mais par le biais de leur connections, à Ākāśa.

C’est peut-être justement là qu’interviennent « praveśanam » et « niskramanam » (entrée et sortie) : ils suggèrent une frontière, par laquelle on entre et on sort. Entre deux atomes par exemple il y a une frontière, et leur séparation prouve l’existence d’Ākāśa. Ākāśa existerait donc pour aplanir la discontinuité.

 

Ce qui ressort pour moi de cette dispute, même si la question mériterait davantage d’études est qu’Ākāśa est une interface entre deux mondes : celui des atomes et des substances composées d’atomes (les 4 éléments tangibles), et celui des substances éternelles, indivisibles. On peut abusivement parler de continu et de discontinu.

En ce sens, les conceptions de l’espace du VS contrastent avec celle des atomistes pour lesquels l’espace est un réceptacle vide et infini dans lequel les atomes sont individuels et distincts. Ainsi, Ākāśa est le constituant d’un cadre métaphysique visant à justifier la conjonction des atomes (cad une continuité dans le sens où nous l’avons définie).

 

 

  1. Ākāśa en action ?

« Pravesanam » et « niskramanam » font-ils référence aux corps ou bien à Ākāśa ? Faut-il entendre le sūtra 2.1.20 par « le mouvement d’entrée et de sortie des atomes (et des corps en général) dans l’Ākāśa caractérise son existence ? » ou bien « le mouvement d’Ākāśa lui-même caractérise son existence » ? La relation d’Ākāśa et du mouvement des atomes est un point peu détaillé du Vaiśeṣika,

Ākāśa n’influe pas les mouvements de ce qui est en son sein ! Il est inactif, mais a le signe (lingam) des mouvements d’entrée et sortie, de conjonction et de disjonction. « Alors qu’il crée des processus dynamiques, il reste statique »[16]. Là encore, on retrouve la position particulière du Vaiśeṣika de se situer entre l’approche bouddhiste qui place l’univers dans des catégories dynamiques, et l’approche védantiste (et védique) qui le réduit à une réalité suprême, exempte de changement et de division. Supportant des changements dynamiques et divisibles, la structure spatiotemporelle reste statique, éternelle et indivisible.

 

Ākāśa apparait ainsi dans une position ambiguë et intermédiaire : celle de l’immobilité et celle du mouvement des atomes/substances en son sein.

 

Ākāśa et le son

  1. Ākāśa, substrat du son?

 

 

La fonction principale d’Ākāśa, dans le Vaiśeṣika semble être de servir de base substantielle à la propagation du son (śabda) et à l’organe de l’audition. On vient de voir que, pour le VS, ce n’est pas l’action des objets qui est l’effet par lequel on peut remonter à Ākāśa. Pour le VS c’est le son qui remplit ce rôle. Et les sūtras suivant visent à le démontrer. Contrairement au jainisme, au bouddhisme et au Vedanta, le Vaiśeṣika, le Nyaya et le Sāṃkhya posent clairement Ākāśa comme le receptacle du son.

 

Mais si le son se transmet via l’Ākāśa, on peut légitimement s’étonner : ces penseurs du Vaiśeṣika ne savaient-ils pas que le son se propage dans l’air ? Pourquoi ne lui ont-ils pas attribué l’air (Vayu) comme élément ? Sachant qu’il se propage aussi dans l’eau (Ap), dans la terre (pṛthivī)), et peut-être même dans le feu (Agni), il y avait beaucoup de candidats possibles pour le son, alors pourquoi avoir fait appel à Ākāśa ? Leur étude de la propagation du son était très développée, il semble donc que ce ne soit pas par méconnaissance sur le son que le Vaiśeṣika a attribué à Ākāśa le son, mais pour des raisons bien particulières que nous allons tenter de connaître.

 

Les sūtras 24 à 27 servent à argumenter le fait que le son est une qualité d’Ākāśa. Ils fournissent des arguments contre l’idée que le son puisse être une qualité des 8 autres substances. Et amènent à la conclusion logique que c’est le son qui est la marque d’Ākāśa.

 

Le statut d’Ākāśa comme support du son est donc déduit sur l’enchaînement suivant: 1. Une qualité ne peut être inhérente qu’à une substance; 2. Le son est une qualité; 3. Le son n’appartenir à aucune des 8 substances autre qu’Ākāśa, par conséquent, il appartient à Ākāśa.

 

La plupart des qualités d’Akasa sont déduit du fait qu’ Ākāśa est le porteur du son :

Aph. 30. Parce qu’il n’y a aucune différence quant à la marque [d’Ākāśa], [à savoir] le son,
il est établi qu ‘[il] est un [en nombre].

Prasastapada décrit l’unité et l’homogénité d’Ākāśa comme découlant de son statut de substrat du son: parce que le son est homogène (cf VL , Ākāśa, diś p424 )

Qualité d’Akasa ; la pénétration-omniprésence (vibhu, sarvagata), l’éternité (nityatva), l’unité (ekatva)

 

Il possède les qualités des 4 substances éternelles non-atomiques mais la matérialité des 4 substances atomiques (éléments, mahabhutas) car il est relié à un organe des sens.

En conclusion  de ces sūtras, Ākāśa apparaît encore comme une substance intermédiaire. Il se situe entre les 4 substances du monde sensible et les 4 autres substances, imperceptibles, éternelles et immuables.

 

  1. L’autre dimension du son

Le fait qu’Ākāśa soit le substrat du son est établi sur la seule base que d’autres substances ne peuvent pas être dotées de cette qualité. Aucun n’argument positif n’est présenté par le Vaiśeṣika pour expliquer comment Ākāśa est relié au son. On a dont l’impression d’une argumentation ad hoc. N’y a-t-il donc pas une autre raison pour qu’Ākāśa soit le support du son ?

Toutes les références à Akasa dans le VS sont d’ordre physique. Comment expliquer qu’aucune référence ne soit faite aux dimensions potentiellement les plus profondes d’Ākāśa comme élément créateur, alors qu’on en trouve dans  les textes védiques plus anciens, ainsi que dans les textes tantriques plus tardifs? Par exemple, dans les Upanishads : « Car tous ces êtres, mobiles ou immobiles, sont créés de l’Akasha, et retournent à l’Akasha pour s’y dissoudre.  Et puisque l’Akasha est antérieur à tous ces êtres créés et à ce monde-ci, il est le support suprême, dans les trois dimensions du temps (passé, présent, futur). »[17] » (Chandogya Upanishads 1.9.1). Ou Taittiriya Samhita 1.6.2: « Brahman dont le corps est Ākāśa »[18]

Il est donc possible que la dimension profonde d’Akasa pour le VS soit à mettre en relation avec son rapport au son. On peut se rappeler que le son revête une dimension très particulière en Inde. En particulier son prototype, l’OM[19] (et Ākāśa avec lui) peut apparaître comme une émanation primordiale de l’absolu, à l’origine du cosmos. D’ailleurs, le lien entre « Om » et Akasha est établi dans les Upanishads : Chandogya Upanishads I.9.2 » Cet Udgitha (Om) est lui aussi tel [que l’Akasha, support suprême] »

 

Par conséquent, même si cette école s’attarde sur l’aspect matériel d’Ākāśa, elle est également préoccupée par son statut métaphysique en tant que support du son primordial.

 

Interface entre 2 mondes. Physique et métaphysique, réel et spirituel

 

La question qu’il faut se poser en conclusion de cette analyse est : êtes-vous convaincus de l’existence d’Ākāśa ? Ces sūtras sont-ils convaincants ? Certes, il faut être familiers (et convaincus) par l’ensemble de la catégorisation du Vaiśeṣika avec ses relations d’inhérence, de qualité, etc.

Pour ma part, je n’ai pas été convaincue par les sūtras expliquant la corrélation d’Ākāśa avec le son. Il me semble donc qu’une autre raison impose le recours à Ākāśa. Une autre fonction plus précisément. Et cette fonction, c’est d’établir un lien entre des mondes distincts. C’est d’ailleurs le rôle qu’on attribue dans le sens commun à l’espace.

Certes cette hypothèse mériterait davantage de recherches, mais nous pouvons peut-être déjà synthétiser les pistes qui nous permettent de l’avancer.

 

Continu/discontinu

Nous avons vu qu’Ākāśa vise à établir la conjonction entre atomes.

 

 

Statique/dynamique

Nous l’avons vu, Ākāśa est immuable[20] mais accueille en son sein l’activité et le mouvement des atomes et des substances

 

Substance intermédiaire atomique/non-atomique, matérielle/immatérielle

Parmi les 9 neuf substances, il se situe en quelque sorte dans une position intermédiaire,. Le fait que la plupart des attributs d’Ākāśa soit issus de son statut de substrat du son, font de lui un élément très matériel. D’autre part, cet élément présente des similitudes avec les substances immatérielles : il est omniprésent et éternel[21].

 

 

Physique/métaphysique

Par son statut du support du son, matériel et créateur, Akasa est à la jonction de la physique et de la métaphysique

 

Conclusion :  

Akasa semble faire le lien entre deux types de réalités, l’une changeante et matérielle et l’autre immuable et immatérielle.

Upanishad de la Taittiriya Samhita  chap III « l’espace éthéré (Akasha) est l’entremonde »

Ākāśa introduit l’expérience de l’étendue, de l’infini, de l’immuable, de l’homogénéité de quelque chose qui sans cesse nous dépasse.

Chu VII-xii-2: « Celui qui médite sur l’espace éthéré comme étant Brahman, parvient à de vastes mondes »

 

 

Sources secondaires

  • Studies in Nyaya-Vaisesika Metaphysics, Sadananda Bhaduri, Bhandarkar Institute Press, Poona, 1975.
  • Padārtha-dharma-saṃgraha of Praśastapāda , English translation: Jha 1916. Ganganatha Jha, Chaukambha Orientalia, Varanasi, 1982. Edition: Bronkhorst and Ramseier 1994.
  • Nyaya-Vaisesika.K. Matilal, Otto Harrassowitz, Weisbaden, 1977.
  • La doctrine des atomes chez Kanada et Prashastapada. Viktoria Lyssenko Journal Asiatique. Vol. 248, N 1, Paris, 1996-b
  • The Theory of Matter in Indian Physics, Roopa Hulikal Narayan
  • The Hindu Realism, Being an Introduction to the Metaphysics of the Nyaya-Vaisheshika System of Philosophy, Jagadisha Chandra Chatterji, Allahabad, Indian Press, 1912
  • Indian Physics: Outline of Early History, Kak, arXiv: physics/0310001, 2004;
  • The Positive Sciences of The Ancient Hindus. Seal, Motilal Banarasidass, Delhi. 1912.
  • The Vaisheshika Notions of akasha and dish From the Perspective of Indian Ideas of Space, V.Lyssenko – in: Beyond Orientalism: The Work of Wilhelm Halbfass and its Impact on Indian and Cross-Cultural Studies. Poznan Studies in the Philosophy of Science and Humanities. Vol. 47, Amsterdam, 1996-b, p. 417-447.
  • The Vaisheshika-sytsem described with the help of the oldest texts, Dr. B. Faddegon, Müller, 1918
  • Towards a Philosophical Reconstruction of the Dialogue between Modern Physics and Advaita Vedānta: An Inquiry into the Concepts of ākāsa, Vacuum and Reality, Université de Montréal, Jonathan Duquette Faculté de théologie et de sciences des religions, Thèse présentée `à la Faculté des études sup´erieures en vue de l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.) en sciences des religions, Septembre 2010
  • Conception of Matter According to Nyaya-Vaisesika, Umesha Mishra, Allahabad, Government Sanskrit College, Benares, 1936
  • Indian Logic and Atomism, B.Keith, Greenwood Press, Publishers, NewYork,1968.
  • Indian Physics: Outline of Early History, Subhash Kak,; arXiv: physics/0310001, 2008
  • Espace ou matière ? Le concept de d’Ākāśa dans la pensée indienne, Halbfass, in – La perception des éléments dans l’Inde ancienne, The perception of the elements in the Hindu traditions, Maya Burger, Peter Schreiner Peter Lang, 1999
  • On Being and What There Is: Classical Vaissessika and the History of Indian Ontology, Halbfass, State University of New York Press, 1992.
  • Nyaya-Vaisheshika: The Indian Tradition of Physics,Roopa Hulikal Narayan R.H. Narayana, 2003, rXiv:physics/0701077

 

Ouvrages plus généraux

  • A Concise History of Science in India, M. Bose, Samarendra Nath Sen, Bose, Published for the National Commission for the Compilation of History of Sciences in India, Indian National Science Academy, 1971
  • A History of Indian Philosophy, Dasgupta , Cambridge University Press, 1922.
  • Indian Metaphysics and Epistemology, K.H. Potter, Princeton University Press, Princeton. 1977.
  • Vocabulaire des philosophies de l’Inde, Marc Ballanfat, Ellipse, 2003
  • Indian Philosophy, Vol. II, S. Radhakrishnan, Oxford University Press, New Delhi, 2006
  • Scholastic Sanskrit: A Manual for Students (Treasury of the Indic Sciences), Gary A. Tubb, Emery R. Boose, American Institute of Buddhist Studies; First edition, 2007

 

 

 

 

[1] Matilal (1977)

[2] Samyoga (conjunction) consiste à relier des objets, comme la jonction des atomes pour former une molecule ou une peinture sur un mur. Samvaya (l’inhérence), qui semble proche de samyoga, est l’un des 6  padarthas, tandis que samyoga est une qualité (guna).

[3] aṇukriyavad guṇavat samavayikaraṇam iti dravyalaks aṇam (VS I.1.15) action, guna et cohinherent cause sont les caractéristiques de dravya

[4] V.Lyssenko (1996-a)

[5]

[6] Il est à noter que le mouvement (vega) et l’action (karma) sont reliés : V.S 1.1.20 Samyogavibhâgavegânâm karma samânam karma est la cause de la conjonction, de la disjonction et du mouvement.

[7] N. Sinha (1911) p48 Aph. 2.1.21. “That is not a mark [of the existence of ether,] for an action inheres in one substance only. “ “This opinion of the Sāṃkhyas is rejected. That egress, &c. is not a mark, is not a mark of existence of ether. Since action has one solid substance as its site, action which inheres only in that which is solid cannot warrant an inference of the existence of ether as underlying it. For an effect which is inherent implies a co-inherent [or material] cause, and there is not between ether and action the relation of inherence and subsistence.”

[8] E. Gough (1873) p66 Aph. 2.1.21. “That is not a mark as an action has but one substance (as its combinative cause)” “Actions such as egress, ingress do not at all infer ether as their combinative cause because action has but one substance, in other words has only corporal substance as its combinative cause. Action also it has already stated does not simultaneously appear in more than one place nore does it appears in non-corporal substances.”

[9] Matila (1977) p 474

[10] Dr.B. Faddegon (1918)  p171 :”V.S II, I, 20 is explained In Shankara Misra as a Samkhva thesis. We indeed meet with this thought in the Sāṃkhya Kramadipikka n°32 (see Garbe: Sāṃkhya-Philosophie p. 303 note 3); this  is however a rather recent work (ibidem p. 68 n°. 2), although. older than vijnanabhiksu’s Samhya-pravasana-bhasyia. In Camkara Acaryas’s Vedanta-bhasya, dated about 800 A.D )., this idea is attributed to the buddhists (see here p. 28 note I). “

[11]  cf Vedanta-bhasya de Samkara Acaryas on Badarayana sūtra II 2 24 edition  Bibli Ind p 558

[12] Entretien personnel avec M.Hulin, avril 2012

[13] Cf les theories d’Abhidharma

[14] Continu et discontinu ne sont pas des concepts évoqués par le VS mais nous pouvons y faire référence pour évoquer le fait de se trouver face à des éléments « aṇu » nettement séparés ‘discontinu) ou en liaison les uns avec les autres (continus).

[15] V. Lyssenko (1996-b), p419

[16]  « while causing dynamic process, always remains a static one ». Lyssenko (1996-c) p 421

[17] Source de la traduction http://www.les-108-upanishads.ch/

[18] There is Brahman whose body is ether (Ākāśa)   , » than to the material sense-organs. The heart-Ākāśa, or the cavity of heart (hRdayasyĀkāśah), is construed as a sort of space occupied by atman and brahman in the body (cf. B;·AUH.5. 10).) V. Lyssenko (1996-b)

[19]  Om ou aum (ओम्) est une syllabe sanskrite que l’on retrouve dans l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme, le sikhisme, et le brahmanisme. On la nomme aussi pravana mantra (« mantra primordial », le mot prāṇa signifiant également « vibration vitale »). Cette syllabe est considérée comme le son originel, primordial, à partir duquel l’Univers se serait structuré (source wikipedia). Ce symbole, est une syllabe sacrée représentant Brahma, l’impersonnel Absolu – tout-puissant, omniprésent et source de toute l’existence manifeste.

[20] Car même se contracter ou se dilater, veut dire se rapprocher, ou s’éloigner, et n’est possible que pour des substances divisées, séparées, discontinues.

[21] Thus, then, being endowed with qualities, and not being located in anything else, it is regarded as a substance. And in as much as it has no cause, either homogeneous or heterogeneous, it is eternal. (VS 2.1.18)

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