Comment mesurer les activités électro-magnétiques du cerveau ?
Le système nerveux est constamment actif et le cerveau, en tant que partie de ce système, produit des influx électriques sous forme d’ondes cérébrales. En 1929, le psychiatre Hans Berger releva et enregistra cette activité sur un tracé appelé électroencéphalogramme (EEG), du grec enkephalos, « cerveau », et gramma, « ligne ». Des électrodes sont placées sur des emplacements spécifiques sur le scalp (cuir chevelu : zones occipitales, temporales, centrales et frontales) pour détecter et enregistrer les impulsions électriques de l’activité cérébrale. Ces impulsions retranscrivent la manifestation de l’activité de millions de neurones qui s’activent et s’inactivent à chaque instant selon les processus physiologiques. Notre cerveau peut être considéré, métaphoriquement, comme semblable à la terre, dont les mouvements superficiels et profonds seraient appréhendés par des capteurs électriques situés en divers points du globe, comme c’est le cas dans les laboratoires de géophysique. Les mesures reflètent les fluctuations du potentiel électrique entre différentes parties du cerveau.
Leur fréquence indique le nombre d’ondulation en une seconde (entre 0,5 et 70 Hz ou 0,5 à 70 cycles par secondes – cps). Leur amplitude représente la puissance des impulsions électriques produites par le cerveau (entre 5 et 300 microvolts). Les signaux varient au cours du temps selon les aires du scalp.
Pour comprendre les variations observées de l’EEG, prenons une image.
- Sur la grève, les vagues peuvent être de faible amplitude et de fréquence rapide. Cela correspond à des tracés d’éveil actif enregistré les yeux ouverts (beta), ou bien encore lors d’un éveil interne pendant un épisode de sommeil paradoxal.
- Les vagues peuvent devenir hautes et fortes mais moins fréquentes que lorsqu’elles sont plus faibles (alpha). Un sujet relaxé yeux fermés aura une activité au niveau de l’occiput de plus grande amplitude que l’éveil actif. Cette forme de tracé témoigne d’une relaxation des aires visuelles occipitales sous-jacentes (J.Ray et H.W Cole)
L’EEG donne donc des informations sur l’état de vigilance, de sommeil, de relaxation de la personne, et bien d’autres choses encore.
L’amplitude du signal est proportionnelle au degré de synchronisation de l’activité nerveuse des neurones d’une région donnée du cortex. En effet, quand un groupe de neurones est excité simultanément, leurs faibles signaux électriques s’additionnent et deviennent perceptibles pour les électrodes à la surface du crâne. À l’opposé, lorsque les stimulations que reçoivent les dendrites d’un groupe de neurones ne sont pas synchronisées, le tracé de l’EEG est faible et irrégulier.
Comparaison décharges synchrones et non synchrones. Neurosciences, Bear, Connors, Paradiso, Éditions Pradel, 2002.
Durant le sommeil profond, les neurones corticaux ne sont plus impliqués dans le traitement de l’information et plusieurs d’entre eux sont en plus stimulés par le même influx lent et rythmique en provenance du thalamus. La synchronisation forte provoque un tracé d’EEG de fortes amplitudes caractéristique des ondes Delta.
Mais quelle est l’origine de cette activité rythmique du cerveau ?
Il semble que la synchronisation des oscillations périodiques dans le cerveau puisse être produite de deux manières différentes. Des neurones peuvent d’abord être activés de manière synchrone parce qu’ils subissent tous l’influence d’un générateur unique, ou pacemaker. Ou alors ils se donnent eux-mêmes le rythme en s’excitant et s’inhibant mutuellement. Si l’on compare une population de neurones à un orchestre, on peut dire que les neurones suivent simplement, dans le premier cas, les indications du chef d’orchestre (cf. Figure a)). Le deuxième cas de figure s’apparenterait plutôt à une séance d’improvisation jazz, où chaque musicien s’accorde aux autres en les écoutant et en les regardant (cf. Figure b)). Ou encore lors d’un rappel après un concert, quand les spectateurs applaudissent, il n’est pas rare qu’ils se mettent spontanément à frapper des mains en cadence pour avoir droit à un rappel. Pourtant, personne ne les a coordonnés pour qu’ils arrivent à ce rythme. Comme les gens ne peuvent battre des mains que dans une étroite bande de fréquence, il leur est facile, en entendant un début de rythme se développer, d’accélérer ou de ralentir un peu pour se mettre en phase.
Schématisation des deux origines possibles de l’activité du cerveau.( Neurosciences, Bear, Connors, Paradiso, Éditions Pradel, 2002.)
Tableau synthétique des différents types d’activité cérébrale
Le tableau ci-dessous présente les caractéristiques principales des activités électriques selon les bandes de fréquences qui correspondent à des états de sommeil et de vigilance qui ont été mis au jour par les physiologistes. Il est inspiré de Etevenon (2005[1]) mais complété et réorganisé.
Il ne faut pas prendre les informations contenues dans ce tableau au pied de la lettre. Il existe des sujets qui, les yeux fermés et relaxés, assis dans une chaise longue ne présentent que de petits tracés alpha. Cependant les sujets introvertis enregistrés au repos, yeux fermés, présentent en général un alpha de plus grande amplitude moyenne au niveau des aires occipitales et pariétales postérieures, tandis que les sujets extravertis présentent plus d’activités rapides bêta de faibles amplitudes.
Rapidement, les activités thêta, alpha et bêta peuvent se succéder et même se superposer.
Activité électrique | Bande de fréquence cycles par seconde : cps ou Hz | Etat | Infos complémentaires |
Delta | 1-4 cps | Sommeil à ondes lentes, sommeil profond | Seules les fonctions vitales sont assurées par le cerveau. Lorsque l’encéphalogramme affiche un tracé plat, cela signifie la mort cérébrale. |
Thêta | 4-8 | Stade 1 d’endormissement, rêverie, sommeil léger, sommeil hypnotique | Zone d’insensibilité à la douleur (les tracés de marcheurs sur le feu ont été enregistrés en Grèce et leur EEG ressemblait à des tracés de sommeil léger avec beaucoup d’activités thêta) |
Alpha 1 | 8-10 | Attention globale diffuse, relaxé | Sentiment de bien-être, les deux hémisphères du cerveau fonctionnent ensemble |
Alpha 2 | 10-12 | Attention focalisée, éveil interne, yeux fermés | Activité mentale d’attention du sujet, qui se remémore intérieurement, par exemple un évènement de sa vie |
Alpha 3 | 12-14 | Très proche de l’état d’éveil, yeux fermés | S’active de manière automatique dès que l’on prend une position de relâchement, que l’on est confortablement installé et que l’on ferme les yeux. Le mental et les pensées restent très actifs |
Bêta 1 | 13-24 | Éveil actif, yeux ouverts, tâche mentale, tracés d’amplitude faible et de fréquence rapide, éveil externe. (réflexion, étude, apprentissage, etc..) | Hémisphère dominant (le gauche dans la plupart des cas) ce qui privilégie le travail analytique et la réflexion. |
Bêta 2 | 24-40 | Éveil actif, tâche mentale, hyper-éveil | Hyperactivité |
Gamma | 30-70 | Eveil actif, parfois hyper éveil, tâche mentale complexe | liées à des activations cérébrales plus intenses qui sont souvent associées à des tâches perceptives et cognitives complexes. |
EEG et états de conscience modifiés
Les états de relaxation et de visualisation, appartenant à la catégorie des états de conscience modifiés volontairement sont proches des états d’éveil mais aussi de l’endormissement en sommeil léger et du rêve. C’est par exemple le cas du yoga nidra de Swami Satyananda. Ils en diffèrent cependant et ne sont pas non plus semblables aux états de conscience altérés pathologiques.
Toutes ces méthodes et techniques de relaxation, visualisation et contemplation se pratiquent le plus souvent les yeux fermés, c’est-à-dire en état de repos des aires visuelles. Il n’est donc pas étonnant que des enregistrements EEG montrent une activité alpha postérieure stable dans le temps, abondante en amplitude plus élevée que pour l’éveil calme ordinaire.
Regardons donc de plus près le rythme Alpha, c’est-à-dire le rythme qui est utilisé pour les thérapies de relaxation. Il permet
- de pouvoir mieux gérer les états de stress et émotionnels,
- d’être plus conscient du fonctionnement du corps et des réactions physiologiques,
- d’agir sur les habitudes et conditionnements
- une meilleure perception sensorielle, le mental est alors en « veilleuse », il interfère moins et laisse la place à l’intuition qui peut être définie comme la faculté de connaître des informations qui sont hors du champ de perception habituel.
Il est intéressant de constater que les phénomènes Psi se produisent à la lisière du rêve et de l’état de veille (les phénomènes Psi sont entendus aujourd’hui comme des interactions « esprit-matière » qui ne sont pas explicables par nos systèmes habituels de perception, de cognition ou d’action). Il s’agit du passage des ondes Thêta à Alpha. (Morlot 2012[2])
Benson (2006) montra qu’aux cours d’expériences répétées, dans un environnement tranquille, la répétition d’un son, d’un simple mot usuel, d’une phrase (pas forcément à consonnance spirituelle), tout comme la fixation du regard sur un objet, sans distraction et dans une attitude passive, sans jugement ni critique dans une attitude confortable, pendant 15 à 20 min, suffit à entraîner une réponse de profonde relaxation où la pression artérielle baisse et les taux de lactate circulant dans le sang, ce qui peut être considéré comme anti-stress et anti-fatigue puisque la fatigue musculaire s’accompagne d’une élévation de l’acide lactique.
Lou et all, 1999 ont étudié des pratiquants de yoga nidra avec tomographie à émission de positons. Ils ont montré que la distribution du débit sanguin dans le cerveau différait du groupe contrôle, ainsi qu’un changement du métabolisme régional du glucose cérébral (Herzog 1991).
Les activités de méditation et concentration sont différentes au niveau de l’EEG. Si l’accent est mis sur des concentrations avec objet (une image sonore, visuelle ou mentale), l’aspect des tracés EEG peut rester dans l’activité alpha ou bien être caractérisé par des tracés de type stade I avec des activités rapides beta entrecoupés de rythmes thêta plus lents qui s’observent aussi au cours des images hypnagogiques de l’endormissement. Mais ces activités restent stables au cours du temps et comme maîtrisées par le sujet tandis qu’elles sont incontrôlables et labiles dans le temps s’il s’agit d’une simple somnolence naturelle. Des poètes comme Michaux (1969) se sont particulièrement intéressés à cet état de rêverie entre l’éveil et le sommeil. Ils l’ont utilisé pour leur créativité artistique dans la mesure où la censure mentale corticale est relâchée, sinon assoupie, et les images et les idées nouvelles affleurent alors spontanément sur l’écran vierge de la conscience. Pierre Etevenon a étudié ainsi deux « grands méditants » :
- Méditation de Taishen Deshimaru (zen): rythme alpha lent continu et stable de grande amplitude surtout sur l’aire pariétale gauche + thêta (Henrotte et Etevenon, 1973)
- Lilian Siburn (shivaisme du cachemire) : rythme très lent thêta et delta en méditation « mystique », ou brefs artéfacts beta et gamma de grande amplitude sans artefact musculaire si méditation « active » (Etevenon 1973)
Le type de méditation, l’expérience du sujet, son vécu subjectif et les conditions extérieures influent sur les résultats. Il est donc difficile d’avoir des groupes homogènes appariés à des groupes contrôle.
Lutz et all (2004) ont montré que l’attention focalisée ainsi que les processus affectifs peuvent être appris et contrôlés après des milliers d’heures de pratiques d’états méditatifs.
Analyse spectrale d’un tracé d’EEG d’éveil calme enregistré en occipital chez un sujet relaxé les yeux fermés. Le spectre de puissance calculé est représenté en décibels (dB) en fonction des fréquences (Hz). L’EEG est décomposé en activités électriques selon les bandes de fréquences qui correspondent aux portions du spectre de puissance (delta, theta, alpha, beta)[3]
Voici une diapo confectionnée à partir du tableau précédant mais en simplifié. Elle explique les niveau de fréquences des pulsations électro-magnétiques de l’activité du cerveau en lien avec différentes pratiques présentes dans le yoga : relaxation, méditation, yoga nidra (yoga du rêve).
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L’hypnose invite à un état de profonde relaxation, et de détente, dans lequel la conscience reste disponible, mais l’esprit se pose sur des perceptions suggérées.
Le yoga nidra est le yoga du rêve, ou du sommeil. Il consiste à rester sur la frontière entre veille et sommeil dans un état de relaxation profond.
La méditation invite à une ouverture de la conscience qui permet d’appréhender le monde dans une globalité et une grande présence.
[1] Pierre Etevenon, Bernard Santerre, Tchou, 2005, États de conscience, sophrologie et yoga).
[2] Anthony Morlot. Les drogues numériques et ondes binaurales : I-Doser, phénomène de mode ou réel danger ?. Médecine humaine et pathologie. 2012. hal-02095408).
[3] référence de l’image : Pierre Etevenon, Bernard Santerre, Tchou, 2005, États de conscience, sophrologie et yoga).
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