Les références à la compassion sont présentes dans les yoga-sutra, et plusieurs mots sanskrits décrivent différents types de compassion, qu’on pourra appeler de manière plus générique « bienveillance ». Car pour le yoga, la compassion n’est pas une souffrance partagée mais un don d’amour et de bienveillance.
Yoga sutra 1.33 maitri karuna mudita upekshanam sukha duhka punya apunya vishayanam bhavanatah chitta prasadanam
I.33. Il est possible d’accéder à l’état d’apaisement du mental en adoptant une attitude faite d’amitié, de compassion et de joie. On doit pouvoir exercer ces attitudes indifféremment dans les situations qui relèvent du bonheur ou du malheur ou que ce soit face à ce qui fait du bien ou du mal.
- Maitrī : l’amitié, la bienveillance, « souhait que tous les êtres trouvent le bonheur et les causes du bonheur » ;
- Karuṇā : la compassion, l’empathie « souhait que les êtres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance » ;
- Muditā : l’enthousiasme, la joie sympathisante ou l’altruisme, « souhait que les êtres trouvent la joie exempte de souffrance » ;
- Upekṣā : l’équanimité ou le détachement, « souhait que les êtres demeurent égaux et en paix quels que soient les événements, bons ou mauvais, qu’ils soient libres de partialité, d’attachement et d’aversion ».
Ces 4 qualité sont dans le bouddhisme, appelées les Quatre Incommensurables, et dans l’hindouisme brahmavihāra les « demeures de Brahma ». Elles sont incommensurables car ces quatre méditations ou qualités ouvrent vers l’infini et l’illimité. Elles affaiblissent l’attachement au petit moi enfermé sur lui-même et ouvre la conscience au monde dans son immensité ainsi qu’aux autres dans leur infinité.
Ce sutra est l’occasion de faire un lien entre bouddhisme et yoga, à propos de la compassion (karuṇā).
Dans notre langage courant, la compassion est une souffrance partagée. Alors que dans le contexte bouddhiste, elle a un sens bien plus vaste et positif, elle est le fait de désirer que tout le monde soit heureux. Au Tibet, l’enseignement de la méditation commence par la compassion et non la concentration. Car la compassion rend les esprit ouverts et spacieux, apporte la confiance et apaise la colère. Si nos esprits sont remplis d’indifférence, d’agressivité ou de jalousie, ils ne peuvent pas être clairs. Si nos esprits sont remplis de haine et d’autres kleśa (sources de souffrance ou afflictions mentales), alors ils ne sont jamais détendus et jamais ouverts, ils sont étouffants. Quand on est dans la crainte, on se referme, on ferme son cœur, on se contracte. Mais avant d’éprouver de la compassion pour les êtres, il s’agit d’éprouver de la bienveillance envers soi-même. Dans le contexte bouddhiste, avant de souhaiter que les autres soient heureux, on est invité à se rendre compte que nous-même nous ne cherchons rien d’autres qu’être heureux et libérés de la souffrance (bienveillance envers nous même). Ensuite il est plus facile d’étendre cette perception aux autres.
Yoga sutra III.24 maitri Dishu Balani
En pratiquant samyama sur la convivialité (et les autres attitudes de I.33) , il vient une grande force de cette attitude (elle se déploie)
• maitri = convivialité ( et d’autres de I.33)
• Dishu = et cetera
• Balani = puissance, la force
Nous avons vu samyama dans un précédant enseignement. Il « suffit » de l’appliquer sur ce support.
Les méditations bouddhistes sur la compassion invitent à méditer sur le bonheur d’autres êtres vivants : des personnes qu’on aime, des personnes qu’on croise dans la rue, des personnes qu’on aime pas ou qui nous énervent. J’ai ainsi passé plusieurs jours à souhaiter intérieurement que la boulangère de mon quartier – que je ne connais pas – soit heureuse et qu’elle soit libérée de la souffrance. Il s’agissait de se répéter mentalement ce souhait. À chaque fois que j’allais acheter mon pain, je devais me répéter « que la boulangère soit heureuse et libérée des causes de la souffrance ».
Mais est-ce dans mon intérêt de souhaiter que les autres heureux ? Est-ce que ça me suffit de le souhaiter juste pour moi-même après tout ? Eh bien non, car vu qu’on est tous interdépendants (c’est un principe bouddhiste), si je veux être heureuse, il faut que les autres le soient aussi. Puisque nous vivons tous dans une société humaine sur une seule planète, nous dépendons l’un de l’autre. La vieille dame qui peine à traverser la rue, le vendeur de journaux dans son kiosque, la personne qui me double dans la queue, et même le moustique qui rêve de me piquer. Après tout, lui aussi veut être heureux. Nous voulons tous être heureux, nous sommes portés par le même but.
Quand on est dans la crainte, on se referme, on ferme son cœur, on se contracte. L’apprentissage de la compassion permet d’ouvrir son cœur et son esprit. Puis ensuite, on sera en mesure d’envoyer de l’amour vers ce qui est cause de la souffrance. Si vous pensez à la mort d’un proche, effective ou à venir, envoyez-lui de l’amour au lieu de laisser votre cœur se resserrer. Ne fermez pas votre cœur.
En pratiquant la bienveillance pour nous même et la compassion pour autrui, nous contribuons à harmoniser l’interdépendance des êtres vivants !
Pratique : Méditations pour cultiver l’amour bienveillant et la compassion, inspiré de la tradition vajrayana (Tergar)
Pour vous même
● Demeurez dans la conscience ouverte. (1 min)
● Reconnaissez que tous les êtres partagent le souhait d’être heureux et libre de souffrance. (1 min)
● Avec cette reconnaissance, répétez silencieusement cette phrase «Puissé-je être heureux.se et libre de souffrance ». Tout en faisant ainsi, détendez votre esprit et ouvrez votre cœur pour vous relier aux autres. (5–7 min)
● Notez les sentiments présents, puis détendez-vous dans la conscience ouverte. (1 min)
Pour les autres
● Demeurez dans la conscience ouverte. (1 min)
● Reconnaissez que tous les êtres partagent le souhait d’être heureux et libre de souffrance. (1 min)
● Avec cette reconnaissance, répétez silencieusement cette phrase « Puissent tous les êtres être heureux et libres de souffrance ». Tout en faisant ainsi, détendez votre esprit et ouvrez votre cœur pour vous relier aux autres. (5–7 min)
● Notez les sentiments présents puis détendez-vous dans la conscience ouverte. (1 min)
Autre format
Pensez à une personne ou un autre vivant dont vous souhaitez le bonheur. Connectez vous à cette personne et laissez émerger un sentiment de bienveillance à son égard, en souhaitant qu’elle soit heureuse et libre de souffrance. Au fur et à mesure des pratiques, on peut orienter cette méditation pour des personnes _ »neutres » ou « ennemies ».
Pratique sur la source de la bienveillance (inspirée du sutra III.24)
Choisissez de penser à une personne dont vous souhaitez le bonheur. Sentez en vous ce souhait du bonheur d’autrui, comme une étincelle d’une source plus grande, que vous possédez. Reliez vous à cette source de compassion.