Que vit le méditant ? Description micro-phénoménologique de l’expérience méditative

Claire Petitmengin, Martijn van Beek, Michel Bitbol, Jean-Michel Nissou
Andreas Roepstorff

Intellectica – La revue de l’Association pour la Recherche sur les sciences de la Cognition
(ARCo), Association pour la Recherche sur la Cognition, 2017, Les états modifiés de conscience en
question: anciennes limites et nouvelles approches, pp.219-242. ￿hal-01653434￿

Cet article m’a plu en particulier sur l’expression du ressenti de certains méditants d’un resserement, ou une contraction lorsque la pensée survient au cours d’une méditation. Pour moi, le ressenti ouvert-spacieux versus contracté/fermé est une clée pour retranscrire l’expérience méditative.

Résumé


Dans notre société où l’intérêt pour la méditation Bouddhiste connaît un engouement
considérable, de nombreuses études sont maintenant menées sur les effets neurophysiologiques de
la pratique méditative, et sur les corrélats neurophysiologiques des états méditatifs. Mais très peu
d’études ont été conduites sur l’expérience de la pratique contemplative : ce que vit le méditant,
instant après instant, aux différents stades de sa pratique, demeure presque invisible dans les
sciences contemplatives contemporaines. Récemment, des méthodes d’entretien « micro-
phénoménologiques » ont été développées pour nous aider à prendre conscience de notre expérience
et à la décrire avec rigueur et précision. Cet article présente les résultats d’une étude pilote visant à
appliquer ces méthodes à la description de l’expérience méditative.
La première partie de l’article décrit ces méthodes et leur adaptation à l’étude de l’expérience
méditative. La seconde partie fournit des descriptions micro-phénoménologiques de deux
processus dont la pratique permet au méditant de prendre conscience : le processus de perte de
contact avec la situation présente et de génération d’une scène virtuelle dans les épisodes de « dérive
attentionnelle », et le processus d’émergence d’une pensée. La troisième partie met en évidence
l’intérêt de telles descriptions pour les pratiquants et pour les instructeurs de méditation, définit le
statut de ces résultats, et propose des pistes de recherche.
Cet article ne décrit pas un état de conscience extraordinaire qui pourrait être induit par la
pratique méditative, mais l’état de conscience modifié très ordinaire consistant à s’absenter de la
situation présente pour s’absorber dans une situation virtuelle. Il propose une méthode permettant
de produire une description « micro-phénoménologique » de la dynamique d’émergence et de
résorption d’un état de conscience modifié.

Introduction


Dans notre société où l’intérêt pour la méditation, notamment pour ses formes sécularisées
comme la pratique de la « pleine conscience », se développe de manière exponentielle, de
nombreuses études sont maintenant menées sur les effets neurophysiologiques de la pratique
méditative (e.g. Lazar et al., 2006; Farb et al., 2007; Slagter et al., 2007; Grossman et al., 2007;
Grant et al., 2010; Holzel et al., 2011; Desbordes et al., 2012; Jensen et al., 2012; Allen et al.,
2012), et sur les corrélats neurophysiologiques des états méditatifs (e.g. Brefczynski-Lewis et al.
2007; Brewer et al., 2011; Lutz et al., 2008; Lutz et al., 2013; van Leeuwen et al., 2012; Mrazek et
al., 2013; Reiner et al;, 2013; Zanesco et al., 2013), et fournissent des résultats importants. Par
exemple, il a été montré que la pratique de la méditation peut réduire le stress et le taux de rechute dépressive (Teasdale et al., 2000; Segal et al., 2002; Kuyken et al. 2015). Mais très peu d’études
ont été conduites sur l’expérience vécue de la pratique contemplative : ce que vit le méditant,
instant après instant, aux différents stades de sa pratique, a été peu étudié par les sciences
contemplatives contemporaines (e.g. Khalsa et al., 2008; Fox et al., 2012; Ataria, 2014, 2015). Au
mieux, les études neurophysiologiques de la méditation accordent un statut auxiliaire à quelques
descriptions grossières de classes d’expériences méditatives (Lutz et al., 2012). Même l’étude
récente qui utilise une matrice de catégories phénoménologiques comme outil heuristique pour
générer des hypothèses sur les corrélats neuronaux des pratiques méditatives (Lutz et al., 2015),
dérive ces catégories de l’analyse de textes et de manuels, pas d’une description phénoménologique
de ces pratiques.
Ce déficit pourrait s’expliquer par l’hypothèse répandue selon laquelle, puisque l’expérience
méditative – comme toute expérience – est produite par l’activité cérébrale, la connaissance de ses
corrélats neuronaux est suffisante pour comprendre ce qui se joue dans la méditation et
comprendre ses effets. Il pourrait aussi s’expliquer par le discrédit qui frappe l’introspection dans
les sciences occidentales qui, depuis Auguste Comte arguant qu’il est impossible de marcher dans
la rue tout en se regardant marcher depuis le balcon, se sont construites sur son exclusion. De plus,
dans les traditions contemplatives, il n’est pas d’usage de parler de son expérience, excepté avec
son enseignant. Un participant à notre étude, pratiquant de la tradition Dzogchen du Bouddhisme
Tibétain depuis 45 ans, a remarqué après le deuxième entretien : « C’est nouveau pour moi, je ne
suis pas habitué. Je n’ai jamais eu l’occasion de partager mes expériences avec qui que ce soit,
même avec mes enseignants, même avec ma femme. » (Alain)
Notre étude est née de l’hypothèse que le manque de connaissance de l’expérience méditative
bloque à la fois la compréhension des effets de la pratique et celle de ses corrélats : de ses effets,
car seule une description fine de l’expérience vécue du sujet permettrait de comprendre les
processus mobilisés pendant la méditation, qui pourraient expliquer ces effets (Philippot & Segal,
2009); de ses corrélats, car plus les techniques de neuro-imagerie cérébrale s’affinent, plus
l’interprétation des données qui en sont issues demande une description précise de l’expérience
vécue des sujets dont on enregistre l’activité (Lachaux, 2011). De telles descriptions sont
maintenant rendues possibles par le développement de méthodes « micro-phénoménologiques » qui
nous permettent de prendre conscience de notre expérience et de la décrire avec rigueur et
précision.
Cet article décrit les résultats d’un projet pilote visant à appliquer ces méthodes à la description
de l’expérience méditative. La première partie de l’article décrit ces méthodes et leur ajustement à
l’étude de l’expérience méditative. La seconde partie fournit les descriptions micro-
phénoménologiques de deux processus dont la pratique permet au méditant de prendre conscience :
le processus de perte de contact avec la situation présente et de génération d’une scène virtuelle
dans les épisodes de « dérive attentionnelle », et le processus d’émergence d’une pensée. La
troisième partie met en évidence l’intérêt de telles descriptions pour les pratiquants et pour les
instructeurs de méditation, définit le statut de ces résultats, et propose des pistes de recherche.
Cet article ne décrit donc pas un état de conscience extraordinaire qui pourrait être induit par la
pratique méditative, mais l’état de conscience modifié très ordinaire consistant à s’absenter de la
situation présente pour s’absorber dans une situation virtuelle. Il propose une méthode permettant
de produire une description « micro-phénoménologique » de la dynamique d’émergence et de
résorption d’un état de conscience modifié.

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