Taduction d’un texte de Roar Ramesh Bjonnes, https://independent.academia.edu/RBjonnes, merci à Dada Pasmeshananda pour ce partage
Cet article est en écho à mon article récent Et si le yoga rencontrait le néo-tantra ?
Je vous invite à garder votre esprit critique vis à vis de ce texte, mais si je vous le partage c’est que je trouve qu’il est bon d’interroger les tendances manifestes (je me reconnais dans le fait de prioriser les Yogas Sutras sur d’autres traités). D’ailleurs ce point de vue n’est pas sans rappeler celui de l’historien David Gordon White.
Avez-vous déjà interrogé la raison pour laquelle la plupart des professeurs de yoga privilégiaient les Yoga Sutras comme texte de référence ? Avez-vous déjà pensé que cela pourrait avoir des racines coloniales occidentales ? Les colonisateurs et orientalistes européens du 19e siècle ont mis l’accent sur les Yoga Sutras de Patanjali par rapport aux textes tantriques. Les Yoga Sutras présentaient une version plus ascétique, méditative et « pacifiée » du yoga qui correspondait aux intérêts coloniaux. Cette interprétation aseptisée du yoga était considérée comme moins menaçante pour le pouvoir colonial par rapport aux pratiques plus actives, non duelles et potentiellement subversives trouvées dans les traditions tantriques. Les Yoga Sutras étaient considérés comme représentant une forme « plus pure » de spiritualité indienne, s’inscrivant dans l’orientalisme romantique. Cette préférence coloniale a considérablement influencé la compréhension et la pratique modernes du yoga. Cela a conduit à une sur-importance accordée aux Yoga Sutras comme source principale ou « authentique » de la philosophie du yoga. De nombreux praticiens et érudits du yoga moderne font remonter la lignée du yoga principalement à travers les Yoga Sutras, qui mettent l’accent sur la désunion et le dualisme, négligeant ou minimisant souvent les influences tantriques, qui privilégient le yoga comme union et le non-dualisme, un tissage philosophique plus élégant car il intègre la dualité mais va au-delà dans une union englobante. Il est donc curieux que la plupart des yogis modernes traduisent le mot yoga par « union ». L’idée du yoga comme étant principalement une pratique méditative et introspective (plutôt qu’une pratique incarnée et engageante dans le monde) est devenue dominante dans les études occidentales et la compréhension populaire. L’interprétation courante du yoga comme « union » est plus étroitement liée à la philosophie tantrique qu’aux Yoga Sutras de Patanjali. Les traditions tantriques mettent souvent l’accent sur l’union de la conscience individuelle avec la conscience universelle, ou sur l’intégration du corps, de l’esprit et de l’âme. Les Yoga Sutras de Patanjali, en revanche, se concentrent davantage sur la séparation ou l’isolement (kaivalya) de la conscience pure (purusha) de la nature matérielle (prakriti). La compréhension populaire du yoga comme « union » doit donc probablement plus aux influences tantriques qu’aux Yoga Sutras, malgré le statut élevé de ces derniers dans les études coloniales et postcoloniales sur le yoga. Cette préférence coloniale pour les Yoga Sutras a conduit à une vision quelque peu déformée de l’histoire et de la philosophie du yoga dans les temps modernes. Elle a contribué à la marginalisation des traditions tantriques et autres traditions yogiques, et a façonné la manière dont le yoga est compris et pratiqué à l’échelle mondiale. Il est temps de remettre en question ces interprétations de l’époque coloniale et de favoriser une compréhension plus nuancée des diverses racines historiques et philosophiques du yoga.