Je vous ai déjà parlé du tantra, et de son lien avec le yoga. Les deux voies se rejoignent mais, pour décrire de manière simplifiée leurs différences, le yoga vise le samādhi, l’éveil, en cherchant à s’élever au-delà de l’expérience incarnée et se libérant de l’attachement, alors que le tantra a la même visée mais s’appuie sur l’expérience incarnée pour transmuter l’énergie et donc la conscience. Mais c’est du tantra historique dont je vous parlais (yoga du froid et yoga du rêve en font partie). Maintenant j’aimerai vous parler du tantra plus moderne que l’on appelle également néo-tantra pour voir ensemble ce qui le relie au yoga et ce qui le différencie, voire l’enrichit. Mais d’abord, qu’est-ce que le néo-tantra ?
C’est une voie spirituelle développée à partir des années 70, héritée ou inspirée de plusieurs lignées essentiellement non dualistes, issue d’une transmission évolutive et vivante, qui fait l’objet de recréations permanentes. Les lignées en question sont celles du yoga tantrique, du bouddhisme tantrique tibétain, du shivaïsme du Cachemire. Les textes de référence sont principalement le Vijñāna-Bhairava tantra et le Spanda Karika. Ces lignées sont interprétées et enrichies d’approches cognitives, d’outils psychothérapeutiques, par des personnalités telles que Osho ou, en France, Sudheer Roche, Margaux Anand, qui ont été ses disciples. Depuis 4 ans, est née une fédération des animateurs de néo-tantra qui a pour but d’informer sur ce qu’est le néo-tantra et poser un cadre sécurisant.
Dans mon parcours, j’ai mis du temps à m’intéresser vraiment au néo-tantra. En tant que yogi de la voie de Patanjali, j’avais un certain désir de libération plus que de jouissance avec le monde matériel. Le néo-tantra vient me mettre encore davantage face à la question de l’incarnation. J’avais rencontré Osho décédé en 1990, par le biais de rediffusion en écran géant, en passant quelques jours dans son ashram à Pune, en Inde. Mais j’avais davantage apprécié l’air climatisé de l’ashram que les rituels codifiés qui me paraissaient alors presque dogmatiques. Et puis, et puis… Je me suis laissée ouvrir à un regard différent, en rencontrant des pratiquants de néo-tantra en France, qui m’ont fait renouer avec Osho. Ce qui m’a plu, c’est la grande tolérance et le respect qui accompagnent ces pratiques, ainsi que la dimension sacrée accordée au corps et à la relation à l’autre. J’y ai aussi découvert des espaces très thérapeutiques pour la guérison du féminin et du masculin dans une société secouée par la révélation croissante de traumas d’abus et la fin du patriarcat. J’y ai aussi trouvé un immense potentiel de reconnexion à la partie vibrante en chacun de nous, qui nous relie au reste du vivant. L’écolo en moi a été séduite. Mon plus grand défi a été d’intégrer la sensualité à cette histoire. Cela a été possible à travers la notion de déploiement de l’énergie de vie. J’y ai retrouvé beaucoup de résonances avec les pratiques yoguiques autour des chakras et de la respiration. En percevant le potentiel d’énergie vitale dans la sexualité, j’ai pu me sentir en terrain connu et en confiance, et un univers nouveau de pratiques s’est offert à moi, parfois en résonance avec le yoga, parfois en enrichissement, parfois en décalage. Je vais décrire certaines de ses particularités au regard du yoga. Bien sûr il existe énormément de voies de yoga, donc, je me réfèrerai ici au Yoga de Patanjali (Yoga Sutras).
L’approche Yin
Le néo-tantra est souvent perçu comme une spiritualité Yin avec des valeurs qui lui donnent un parfum unique et très contemporain : la paix, la non-violence, la bienveillance, la douceur, le respect du vivant. On peut les trouver dans le yoga de Patanjali (par exemple dans les yamas), mais de manière moins première. Le yoga m’apparaît plus yang, avec des valeurs telles que l’ascèse, l’endurance, l’effort, qui ne sont pas du tout présentes dans le néo-tantra. Le néo-tantra invite à accueillir la puissance yang et la part de yin en nous, dont le mariage devient une immense source de richesse.
La liberté
Le néo-tantra invite la liberté absolue vis-à-vis des dogmes et des croyances. De même, le yoga de Patanjali revendique une liberté absolue vis-à-vis des croyances, et propose de tout passer au prisme de l’expérience. En cela, il est très proche du néo-tantra pour qui l’expérience est la base de la connaissance. Tous deux proposent de déchirer les voiles des illusions. Cependant, des déclinaisons du yoga attaché aux valeurs de la société brahmanique s’appuient sur certain ordre moral.
Sexe ou pas sexe ?
Que dit Patanjali de l’énergie sexuelle ? Un yama dans le yoga de Patanjali parle de Brahmacharya, la purification… Sujet à interprétation différentes, ce terme de Brahmacharya, parfois vu comme la chasteté ou l’abstinence, est devenu plus tempéré dans les traductions plus contemporaines. La réputation du néo-tantra met souvent le focus sur la sexualité, alors qu’il est question d’énergie sexuelle comme énergie vitale. L’objectif n’est pas de rester à ces niveaux (chakra 1, chakra 2) mais bien de diffuser l’énergie « circuler dans tout le corps, transcendant même le corps et allant dans le cosmos »[1]. La sexualité n’est pas taboue mais sacrée au même titre que la vie. Le néo-tantra est une des rares voies spirituelles qui intègre l’énergie sexuelle comme outil de transformation et de connaissance.
Où trouver l’extase ?
Ce que le tantra m’apporte de nouveau par rapport au yoga, c’est une manière de vivre au quotidien l’extase que j’ai cherchée (et parfois trouvée) dans la libération. Vous connaissez le livre de Jack Kornfield, Après l’extase la lessive ? Et si on trouvait l’extase dans la lessive[2]? Pour le néo-tantra, l’éveil ultime n’existe pas : tout dans la nature ne cesse d’évoluer, de se transformer indéfiniment. Chercher un état ultime c’est se couper du réel. Il s’agit de lâcher tout vouloir, y compris un but final. Pour Patanjali, il existe plusieurs niveaux et types d’éveil (sutra I.41 à 1.47) mais avec quand même un stade ultime.
Pour le yoga de Patanjali, les perturbations du mental sont à suspendre (sutra I.2). Pour le néo-tantra, on prend l’énergie de la pensée comme n’importe quelle autre énergie. On ne se laisse pas identifier à la pensée, mais on accueille les états de distraction dans la présence. Il s’agit de ne pas les considérer comme un obstacle, mais d’en faire une formidable mutation où l’agitation vient nourrir le calme.
En fait, ceci est très connecté à la question de la non-dualité. Le yoga de Patanjali peut être vu comme une approche duelle, avec une dichotomie entre conscience et mental, même si il est aussi possible de le voir comme non-duel notamment avec la méditation de samyama, qui unit le méditant à son support de méditation, mais c’est un débat passionnant. Le néo-tantra est lui clairement non duel.
L’accueil versus le contrôle de soi
On a vu que Patanjali préconise la modération, comme une voie d’équilibre qui m’inspire beaucoup, pour ma part. Mais la modération implique un certain contrôle dans sa vie, pour éviter les excès et chercher les bons équilibres, que ce soit sur la nourriture, le travail, les émotions, etc. Le néo-tantra propose de lâcher totalement le contrôle et de faire confiance à notre nature profonde et à ce « plus grand que nous » qui va réguler naturellement nos appétences de vie. Le yoga cependant n’est pas dans le contrôle total puisqu’il invite à poser des intentions dans ses actes puis accueillir comment l’univers les transforme (yoga sutra I.26 et II.37).
Le lien à l’autre
Le yoga propose plutôt une voie de soi au Soi. Le néo-tantra propose la relation aux autres comme un outil de confrontation qui procure des réactions diverses (de positionnement, de clarification, …). Le partenaire devient un formidable support de méditation car il n’est ni abstrait ni immobile, contrairement à bien d’autres supports classiques de méditation ! Ce rapport à l’autre invite à observer le Soi face à un autre qui fait miroir. Le corps de l’autre fait partie du lien possible de la rencontre. Le néo-tantra propose des pratiques avec des inconnus aussi bien qu’avec son partenaire de vie. En couple, il permet d’entrevoir la relation à l’autre dans sa dimension sacrée, de sortir des conflits et des habitudes, de se découvrir autrement, d’oser l’authenticité. Il amène à jouer et révéler ensemble des parts insoupçonnées, se challenger et grandir avec l’autre, renouer une complicité, approfondir la confiance, retrouver l’amour profond. Le yoga de Patanjali n’évoque que peu la relation à l’autre si ce n’est dans les règles de vie (yama, niyama) et dans l’importance de l’amitié (maïtri) et de la compassion (karuna) qui clarifient et apaisent le mental.
Accueillir nos ombres en sécurité
Concernant les aspects plus sombres de soi : peurs, traumas, émotions difficiles, etc., Patanjali propose de « les renvoyer à la source » (sutra 4.29) ou de les transcender par la méditation. Le néo- tantra propose d’accueillir toutes nos parts d’ombres avec un maximum de bienveillance, en se laissant traverser totalement par la vibration, descendre en profondeur dans la pure nature de l’énergie pour pouvoir la laisser remonter avec une nouvelle couleur : une part lumière. Toutes les émotions sont bienvenues, elles sont honorées dans une danse de transformation. Tout l’enjeu de cet abandon possible c’est la confiance dans un cadre de sécurité proposé par des animateurs formés et expérimentés.
[1] Le livre des secrets, Osho, Chap.12, trad personnelle de l’anglais
[2] Merci au spectacle « L’appel du tantra » d’avoir suggéré cette formulation. https://www.presenceamoureuse.com/le-spectacle-l-appel-du-tantra
[1] Merci au spectacle « L’appel du tantra » d’avoir suggéré cette formulation. https://www.presenceamoureuse.com/le-spectacle-l-appel-du-tantra