La pratique de Tonglen, pour tout le monde ?

Par Annette Bergeron

J’ai découvert la pratique de tonglen dans le livre tibétain de la vie et de la mort (1), de
Sogya Rinpoché.

I. Le principe de tonglen

Tonglen est une pratique de méditation bouddhiste très simple qui consiste à porter une
intention sur la respiration. Ainsi, cette méditation est également un pranayama (exercice de
respiration) puisque le fait d’y porter attention la modifie. Cependant, on cherchera à
maintenir une respiration naturelle.
Cette méditation propose d’absorber ce qui est négatif pour le restituer sous forme positive.
Donc, sur le support de la respiration : on inspire la souffrance de l’extérieur, au passage
notre propre souffrance est aspirée et on expire de la douceur.
Au besoin, on peut utiliser une représentation mentale pour s’aider. On imagine la
souffrance sous forme de fumée noire : en l’inspirant, celle-ci disparaît au centre de l’être.
Puis lors de l’expiration, on la restitue sous forme de fumée blanche.
On peut aussi prendre l’image de l’arbre qui absorbe le CO2 et produit de l’oxygène (2).
Cette technique peut aussi être décrite comme une égalisation et un échange de soi-même
avec autrui : sur l’inspiration du souffle, on prend sur soi avec empathie la souffrance
d’autrui, une personne précise ou le monde entier ; sur l’expiration, on redonne de la
bienveillance et de la paix.
Il existe plusieurs variations de tonglen, nous les verrons plus loin. Le principe reste toujours
le même.
Tonglen nous invite à nous décentrer de notre émotion ou pensée envahissante et nous
propose une perspective apaisante.
Elle illustre avec poésie notre pouvoir de transformation intérieure.
Elle est basée sur le concept bouddhiste de compassion : non seulement on cherche à
partager la souffrance de l’autre, de soi et du monde (proche du concept de compassion
chrétienne), mais en plus on diffuse le souhait que tous les êtres vivants soient heureux
(puissent se développer, s’épanouir).

II. Existe-t-il des freins pour pratiquer tonglen ?

Comme le précise Sogyal Rinpoché (3), avant de pouvoir réellement pratiquer tonglen, nous
devons être capable d’éveiller en nous la compassion. En effet, nous devons pouvoir nous
connecter à notre pouvoir de transformation, contacter en nous notre source d’amour,
notre source d’inspiration.

Il est possible que ce « pré-requis » puisse être un premier frein à la pratique. Lorsque nous
allons mal ou que nous sommes perdus, il est difficile de trouver en nous un moteur, une
inspiration qui nous porte et nous guide. Certains d’entre nous, pris dans une souffrance
trop grande, peinent à trouver en eux cette source de paix et de détente.
Si notre source d’inspiration nous est inconnue, nous devons commencer à mieux nous
connaître et ainsi découvrir notre « fil rouge ». Qu’est-ce qui donne du sens à notre vie ?
Qu’est-ce qui nous donne envie de nous lever le matin ?
Il nous faut donc commencer par nous accueillir dans notre existence, dans notre
souffrance, pourvoir s’offrir à soi-même de l’empathie, du réconfort, de l’amour.
Il est alors utile au préalable d’apprendre à solliciter en nous cet espace d’inspiration, ou a
minima un espace de calme. Par la méditation, la relaxation, la connexion à la nature, par le
yoga, le tai chi, quelle que soit la pratique, nous pouvons commencer par créer cet espace
mental. Dès lors, nous pouvons planter les graines et cultiver les valeurs qui nous portent.
Pour les tibétains, la première qualité à cultiver est la compassion.
Dans l’ouvrage de Sogyal Rinpoché, le chapitre sur la compassion apparait dans le thème de
l’accompagnement aux mourants. Comme si, pour ceux d’entre nous qui se trouvent face à
cette période si particulière dans la vie humaine, nous devions nous outiller de la plus
grande force morale. C’est ainsi qu’apparait la compassion, le plus haut degré d’amour,
comme aide pour soi et pour ceux qui meurent. Face à la mort, nous prenons conscience de
notre propre finitude et de celle des autres êtres vivants. « Cette réalisation peut engendrer
une compassion profonde, lucide et illimitée pour tous les êtres. »
Un passage de ce chapitre me touche particulièrement : « Ressentir pleinement [n]otre
condition mortelle, ouvrir pleinement [n]otre cœur à ce sentiment, c’est permettre que
grandisse en [n]ous une compassion courageuse et universelle, véritable force motrice dans
la vie de toute personne réellement désireuse d’aider les autres. » (4)
Nous sommes en vie maintenant, un jour la mort viendra, en attendant, quelle ambiance de
vie décidons-nous de créer pour nous et autour de nous?
Bien sûr, dans le bouddhisme, la compassion s’inscrit comme la source et l’essence de l’éveil,
dans la volonté de rompre l’attachement à son ego en se tournant vers les autres, dans le
but de se libérer du samsara.
Avec tonglen, pratique concrète, nous pouvons rester dans une volonté, au quotidien,
d’avoir conscience de notre souffrance et de celle des autres et de cultiver l’intention de
l’apaiser. Alors naturellement, un espace de conscience se crée et grandit.

III. La pratique de tonglen

Après avoir travaillé en amont pour éveiller notre compassion, nous pouvons détailler
maintenant des étapes de tonglen :

  1. La pratique préliminaire (5)
    Commencer par s’assoir, trouver une position confortable, réduire le volume des pensées,
    revenir aux sensations de la respiration. Fermer les yeux si besoin.
     Tonglen pratiqué sur l’environnement : Si l’atmosphère est lourde autour de soi,
    absorber mentalement toutes les tensions et répandre autour de soi calme, clarté et
    joie.
     Tonglen pratiqué sur soi-même : Se diviser en 2 aspects A et B. A est l’aspect de nous qui
    est sain, empli de compassion, chaleureux et aimant, tel un ami véritable. B est l’aspect
    de nous qui a été blessé, qui se sent incompris et frustré, amer ou en colère. En
    inspirant, imaginer que A ouvre complètement son cœur et accueille avec chaleur et
    compassion toutes les blessures et souffrances de B. Emu, B lui ouvre aussi son cœur et
    toutes les souffrances et douleurs disparaissent dans cette étreinte remplie de
    compassion.
     Tonglen pratiqué dans une situation vivante : Se représenter une situation au cours de
    laquelle nous avons mal agi dont le souvenir nous remplit de culpabilité. Puis en
    inspirant, accepter la totale responsabilité de nos actes, sans essayer de justifier notre
    conduite. Demander pardon de tout notre cœur. En expirant, dispenser la réconciliation,
    le pardon, la guérison et la compréhension. Ainsi, on inspire la faute et on expire la
    réparation, on inspire la responsabilité et on expire la guérison.
     Tonglen pratiqué pour les autres : Penser à quelqu’un dont on se sent très proche, en
    particulier une personne qui est dans la douleur. En inspirant, imaginer que l’on prend
    sur nous avec compassion toute sa souffrance et sa douleur et en expirant, diriger vers
    elle chaleur, amour, joie, bonheur et guérison. Maintenant, élargir graduellement le
    cercle de compassion et inclure d’autres personnes dont on est proche, puis celles pour
    qui nous sommes indifférentes, celles qui nous déplaisent et enfin celles qui sont à nos
    yeux cruelles ou monstrueuses. Laisser notre compassion devenir universelle et
    accueillir dans son étreinte tous les êtres sensibles, sans aucune exception.

2. La pratique principale de tonglen (6)

S’installer dans notre posture de méditation habituelle. Méditer profondément sur la
compassion.
Si besoin, imaginer en face de nous une personne qui nous est chère dans une situation de
souffrance, de façon aussi vivante et émouvante que possible. Lorsque l’on sent la
compassion envers cette personne ouvrir notre cœur, imaginer que ses souffrances se
manifestent sous la forme d’une fumée noire. En inspirant, on visualise la dissolution de

cette fumée dans notre cœur. Au passage, elle détruit nos propres souffrances et purifie
ainsi notre cœur.
En expirant, imaginer que l’on envoie dans le monde une lumière radieuse et rafraichissante
de paix, de joie, de bonheur et d’ultime bien-être. Soyons généreux.
Poursuivre cette méditation au rythme de la respiration normale. Elargir progressivement le
cercle de la compassion à tous les êtres.
Sur la respiration naturelle, nous prenons sur nous toutes les souffrances diverses de tous
les êtres, la transformons et donnons tout notre amour.

IV. La pratique de tonglen est-elle accessible à tous ?


Si la réponse est pour moi évidente et positive, il semble que tonglen demande a minima
une disponibilité, ou la volonté de pratiquer, et donc avant tout la foi en notre pouvoir de
transformation.
Si certaines pathologies ou blocages nous empêchent parfois de bouger intérieurement,
nous avons tous en nous ce pouvoir. Tant que nous sommes vivants, cette force existe en
nous. Tonglen n’est rien d’autre qu’un soutien à cette force existante.
Ne demandant aucun matériel ni aucun support, tonglen se pratique à tout instant, dans
n’importe quelle situation.
Dans l’observation, lorsque je m’installe dans tonglen, je ressens très rapidement un
changement dans le corps : la colonne se redresse, les épaules se détendent, la cage
thoracique s’ouvre. Ainsi, quand le corps s’ouvre, le mental s’ouvre.
A l’inspiration, lorsque je souhaite aspirer la souffrance, c’est autour de la poitrine que se
concentrent les sensations, comme si l’emprise de l’angoisse existante, même légère, se
relâchait dans cette zone. Puis à la fin de l’inspir, c’est dans ma boite crânienne que je
ressens les sensations. A l’expir, ce sont les tensions de la gorge qui se libèrent. Qu’en est-il
pour vous ?
Tout le corps est impliqué dans la respiration. Cette méditation nous engage en entier.
Plus je pratique tonglen, plus j’ai envie de le pratiquer ! Je peux le mettre en lien avec toute
autre méditation. Même en dehors du coussin, dans la vie quotidienne, dans les
interactions, tonglen s’invite et m’aide à prendre du recul, à me détendre lors de tensions ou
face à une émotion.
Ainsi, si je n’ai pas pu apaiser l’autre, j’ai au moins calmé mon système nerveux, atténué mes
pensées et mes émotions, retrouvé une disponibilité à l’autre et diffusé de la détente dans
mon langage corporel.
Puisque tout est interdépendant, si j’agis sur moi, j’agis sur mon environnement.

1 Le livre tibétain de la vie et de la mort, Sogyal Rinpoché, Editions de la Table Ronde, Paris, coll. Le livre de
poche, 2013.
2 https://www.samayoga.ca/blog/meditation-tonglen/
3 Le livre tibétain de la vie et de la mort, Sogyal Rinpoché, Editions de la Table Ronde, Paris, coll. Le livre de
poche, 2013, p. 358.

4 Idib, p.345

5 Ibid, p.371
6 Ibid, p. 375

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