Le sanskrit, invitation au voyage

 

Qui est assez fou pour apprendre le sanskrit aujourd’hui ? Pourquoi s’intéresser à cette langue, la plus ancienne des langues indo-européennes ? Par ce qu’elle est vieille justement et que les vieilles choses ont un arrière goût de mystère ? Par passion pour l’histoire des civilisations ? Parce que cette langue avec laquelle notre langue a des racines communes nous parle de nous, de ces cultures qui voyagent avec les langues ?

J’ai d’autres raisons à vous proposer : une des raisons, la plus pragmatique est que c’est une langue utile pour comprendre les mots courants du bouddhisme, du yoga, etc. En effet, cette langue, un peu comme le latin et le grec, a servi de langue savante dans une bonne partie de l’Asie pendant des centaines voire des milliers d’années. Nous verrons d’ailleurs un peu plus loin quelques traductions des mots sanskrits les plus couramment employés en yoga.

Mais parlons encore des raisons, car il y en a de plus subtiles. « Si le sanskrit, reconnu comme la plus ancienne des langues indo-européennes fascine encore aujourd’hui, c’est parce qu’il permet d’envisager sous des angles différents certains aspects du réel, depuis les mystères de l’univers jusqu’à ceux de la conscience. »  estime la sanskritiste Colette Poggi, dans son beau livre paru en 2012, « Le sanskrit, souffle et lumière » (Almora). En effet, car le sanskrit a été, depuis, plus de 3000 ans, un objet d’étude et de questionnement pour des générations de « pandit », de lettrés et de savants. Car, dans la culture sanskrite, les sciences relatives au langage ont été les premières sciences et les sciences premières. La métrique, la grammaire, la phonétique, ont ouvert le pas à l’usage de la logique et de la classification. Depuis la période védique, le sanskrit véhicule les recherches de l’homme sur les sons, les concepts mais aussi la résonnance entre le microcosme et le macrocosme.

S’intéresser au sanskrit c’est s’offrir un voyage dans l’univers de la puissance sonore. D’après les grammairiens sanskrits, un mot est lié à son effet, au pouvoir créatif de son évocation sonore. Malgré l’imposante quantité de textes qui nous sont parvenus, n’oublions pas que c’est avant tout une langue faîte pour être parlée, récitée, prononcée. On récitait les Védas plus qu’on ne les lisait, on chantait les épopées. L’éducation des jeunes brahmanes passe par de longues séances de récitations chantées et d’articulation. La subtilité des vibrations sonores peut se deviner à l’image de l’alphabet devanagari, où l’on voit ci-contre les multiples prononciations du « n » par exemple. Entraînez vous à prononcer « na » avec la langue collée à l’arrière du palais (guttural), en haut du palais (palatal), devant (cerebral), contre les dents (dental), lèvres fermées (labial, le « na » devient « ma »).

L’éducation des éléphants se fait aujourd’hui encore en sanskrit, justement à cause de cette force du pouvoir créateur du mot, du son. Et il suffit aussi de rappeler l’importance des mantras, ces formules spirituelles qui détiennent un pouvoir particulier…

Dans l’apprentissage du sanskrit, on se rend vite compte que la sonorité est primordiale. Les mots changent d’aspects pour satisfaire la règle principale : bien sonner, rendre l’harmonie de la phrase.

Etudiez le sanskrit, c’est aussi un voyage vers l’étude des contes et des légendes colorés de l’Inde. C’est l’occasion par exemple de découvrir les contes du Perroquet ou les histoires d’amour du Mahabharata, les aventures des princes-ascètes de la forêt ou celles des rois déchus (Maha veut dire grand, et Bharat est le nom d’un ancien roi).

Je dois avouer que cela me fait du bien, de lister toutes ces raisons, car parfois, je me demande pourquoi je persiste à apprendre cette langue ! Autant l’avouer tout de suite : elle est désespérément complexe ! Pour ceux qui se souviennent de leurs cours de latin ou de grec ancien, c’est encore pire ! Il y avait six déclinaisons en latin : « rosa, rosam, rosae,… », il y en a 8 en sanskrit ! On a du mal à concevoir autant de cas alors qu’en français, on n’en a plus guère besoin, l’accusatif s’écrit comme le nominatif : vous écrivez « le livre » est sur la table ou bien j’ai « un livre », et « livre » se termine de la même manière quelque soit sa place dans la phrase[1]. Non content de se limiter à cette complexité des cas, le sanskrit distingue en plus 3 genres : masculin, féminin et neutre (comme en allemand). Et ce n’est pas fini : en plus du singulier et du pluriel, il ajoute le duel (allons quand on est deux, c’est bien différent, n’est-ce pas ?). Ceci fait 8x3x3= 72 déclinaisons… Et il faut encore multiplier 72 par le nombre de classes de mot (ceux qui se terminent pas « as », ceux qui se terminent par « i », par « r », etc), pour connaître le nombre de déclinaisons possibles des mots, pas des verbes bien sûr, car pour eux, c’est une autre histoire ! Mais si je vous la racontais, j’aurai peur de vous démotiver. Non, allez y, plongez vous dans le sanskrit, vous serez certainement plus désarçonné qu’après une séance de rodéo. Le sanskrit a cette formidable capacité de nous faire lâcher prise. Sitôt que l’on croit avoir compris une règle de grammaire, une exception surgit qui vient remettre en question la logique que l’on croyait avoir comprise ! Par exemple, si vous venez de trouver une forme logique à la conjugaison du passif, aussitôt surgissent des exceptions presque aussi nombreuses que les formes logiques !

Néanmoins, l’avantage de ce foisonnement de déclinaisons, de règles et d’exceptions, c’est que ca fait travailler la mémoire, ce qui est fort utile en ces temps alzheimeriens !

Mais surtout, on est amené à trouver ce qui reste et ce qui est éphémère, ce qui est stable et ce qui est dynamique, comme dans une posture de yoga. On est confronté à ses propres limites qu’on cherche à dépasser, comme en yoga. Et comme en yoga, on trouve du contentement dans la difficulté. Là où on ne pensait pas en trouver. Dans l’espace d’ouverture qui se crée.

Passons maintenant à ce que je vous ai promis : quelques traductions de mots usuels des pratiquants de yoga (les majuscules correspondent à des voyelles longues, le R se prononce « ri ».)

Bhavana : Faire advenir quelque chose à la conscience. Vient de « Bhu » : être, devenir.

Précisons qu’il n’y pas de verbe avoir en sanskrit. On ne dit pas j’ai un livre, mais le livre est avec moi. Comme quoi, c’est plus une invitation à la relation qu’à la possession !

Vedas. « J’ai appris, je sais ». Vient de Vid : savoir littéralement

Budh : savoir, s’éveiller

Et maintenant, les petits mots qu’on trouve fréquemment dans les postures de yoga

Urdhva : Vers le haut

Adho : vers le bas

Anga : membre

ViparIta : inversé

Utthita : étendu

PAda : jambe

UttAna : extension

PArSva : de côté, lattéralement

Pari(autour) vRtta (tourné) : inverse, tourné autour

vIra : héros

Kona : angle comme dans Baddha Konasana

Janu : genoux

Sirsa : tête

Ardha : demi

Baddha : lié

ViparIta : inversé

Deux exemples de postures :

Adhomukhaśvānāsana : posture de chien au museau vers le sol

Adhomukhavrikshasana : posture de l’arbre à la tête vers le bas

On voit tout de suite les postures différemment !

La fac de Lyon 3 maintient corps et âme des cours de sanskrits ouverts à tous les étudiants, n’importe qui peut être étudiant il suffit de prendre une carte ! Alors n’hésitez pas !

[1] On peut se demande d’ailleurs, pourquoi les langues sont passées de plus complexes à moins complexes. Sans doute, par ce qu’au fur et à mesure, on a supprimé ce qui semblait inutile. Au détriment peut-être des saveurs de la précision.

Sabine Rabourdin

1 commentaire sur “Le sanskrit, invitation au voyage”

  1. C’est par l’etude comparee des oeuvres philosophiques et religieuses de deux auteurs medievaux majeurs, Maitre Eckhart, theologien rhenan (XIIIe-XIVe) et Abhinavagupta, philosophe shivaite du Cachemire (Xe-XIe), que Colette Poggi aborde le theme central de cet ouvrage : Les oeuvres de vie. Celles-ci designent l’expression spontanee, au sein de la vie quotidienne comme dans la pratique artistique, de la plus haute realisation qu’est l’art de l’interiorite conjuguant action et contemplation. Cette vision du sens de l’existence repose tant pour Eckhart que pour Abhinavagupta sur un aspect original de leur doctrine : a leurs yeux le principe supreme est Lumiere animee par un dynamisme vivant, Conscience absolue s’exprimant dans le deploiement cosmique. Cette recherche accorde egalement une large place a la conception medievale de l’Art comme voie de realisation. Depuis ses origines, l’univers du Tantra ne cesse de devoiler des figures spirituelles hautes en couleurs, tel Goraksha, appartenant a la lignee des Nathayogin. Chercheurs d’eternite, fins observateurs de la conscience profonde, tous se font explorateurs du corps subtil et ouvrent, au coeur de leur existence, une voie a la vie universelle. Depuis cet astrolabe « portatif » ou s’accomplit l’experience du cosmos interieur, Goraksha, au xiie siecle a realise la metamorphose de son etre en un corps de lumiere. Cette etude presente le yoga comme art alchimique signifiant un retour a l’originel, tel qu’il fut pratique non seulement en Inde mais dans le taoisme chinois. Aux yeux de Goraksha, l’eveil ainsi obtenu permet d’integrer le corps et le monde dans la plus haute experience spirituelle. Ce premier volet abordant le contexte tantrique et yoguique dans lequel evolua Goraksha, prelude a la traduction des cent-soixante-douze versets exposant sa doctrine, regroupes sous le nom de Goraksa-vacana-samgraha (a paraitre).

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