Ceux qui ont exploré différents états de conscience ont peut-être remarqué que certains états se ressemblent par exemple l’hypnose légère et la relaxation, certaines formes de méditation et l’état précédant le sommeil. Mais quelles sont les critères qui permettent de les différencier ?
Si nous pouvions cartographier avec précision les différents états de conscience, nous pourrions être en mesure de prédire comment passer d’un état à un autre, ou comment éviter de tomber dans des états désagréables ou indésirables à partir d’états plus souhaitables à proximité, par exemple en passant de la paralysie du sommeil à une expérience hors du corps, ou un rêve éveillé.
Mais en dehors de l’aspect pratique de cette cartographie, elle nous permettrait de mieux comprendre la conscience. Nous serions mieux à même de comprendre les liens entre différentes traditions et les connaissances actuelles sur la conscience
Plusieurs chercheurs et plusieurs traditions se sont déjà penchés sur cette question, mais avec des indicateurs parfois fort différents et je n’ai pas trouvé de synthèse qui permette de lier ces analyses ensemble. Je me suis donc essayée à rassembler quelques unes de ces classifications, en m’appuyant aussi sur ma propre expérience, ainsi que sur les traditions du yoga et du bouddhisme, experts des états de conscience depuis fort longtemps ! Je n’ai pas prétention à une analyse scientifique, mais à une forme de clarification, qui moi me sera utile, et sûrement j’imagine à d’autres personnes intéressées par les états de conscience.
Voici les éléments sur lesquels je m’appuie :
- le neurologue Steven Laureys[1] a utilisé le «niveau de conscience» et le «contenu de la conscience»; (plus de détails et schémas ci-dessous)
- l’expert du sommeil, J. Allan Hobson a développé un «modèle AIM» 3D dont les dimensions sont «activation», «déclenchement entrée-sortie» et «modulation». Son analyse est basée sur les effets de différents neurotransmetteurs. Hobson, J.A. 2010, The AIM Model of Dreaming, Sleeping, and Waking Consciousness
- Les chercheurs Lutz, Jha, Dunne et Sharon ont cartographié deux pratiques standard liées à la pleine conscience : la méditation de l’attention focalisée (FA) et la méditation ouverte (OM), ainsi que trois états mentaux (Rumination, Errance mentale et Addiction) Leurs critères sont la focalisation, la déréification, la méta-conscience, les qualités d’ouverture, de clarté, de stabilité et d’effort. (Investigating the Phenomenological Matrix of Mindfulness-Related Practices From a Neurocognitive Perspective Antoine Lutz, Amishi P. Jha, John D. Dunne, Clifford D. Saron). Voir plus d’explications et schema ci-dessous.
- Le classement des états de conscience selon les ondes cérébrales (alpha, beta, gamma, theta). De nombreuses recherches y font référence, j’avais déjà établi une forme de classification (voir l’article sur ce site et ci-dessous)
- La tradition du yoga classe plusieurs instruments ou niveaux de conscience dans l’esprit humain (voir l’article sur ce site) ainsi que des états de méditation.
- Les Bouddhistes ont aussi bien sûr distingué différents instruments et états de conscience. Ils sont assez proches du yoga (voir article sur ce site).
- Il est également possible de se référer aux différents niveaux de samadhi (voir article sur ce site).
Voici ma synthèse en tableau (vous trouverez plus d’informations sur ces différentes études plus bas dans l’article). Il s’agit pour moi d’y voir un peu plus clair, ce tableau n’a pas d’ambitions académique ni d’exhaustivité, mais je serai ravie d’avoir des commentaires constructifs pour peaufiner cette première proposition.
Note de 1 à 10 | Etendue de la conscience – perception focalisée 0 ou globale/ouverte 10 | Prise de recul -dereification forte 10 faible 0 | Ondes alpha/beta/gamma/theta | Niveau de vigilance – effort Passif 0/ Actif 10 | Capacité de recognition (mémoire) Aucun souvenir 0 tous les souvenirs 10 | Perception d’un soi distinct – Ego (Ahamkara) Avec Ego fort 0 Pas d’ego 10 | Manas (gestion et impression des 5 sens) Manas fort 0, manas absent 10 | Intervention de la raison (Buddhi) et des présupposés (croyances, représentations, souvenirs.) Sans intervention 0 Avec maximum 10 |
Hypnose IV (Lucidité) | 5 | 2 | Theta | 5 | 2 | 8 | 0 | 4 |
LSD | 10 | 6 | 5 | 8 | 8 | 0 | 2 | |
Coma | 0 | 0 | 1 | 8 | 10 | 0 | ||
Niveau I à IV anesthésie | décrire les 4 niveaux | |||||||
Sommeil profond | 0 | Delta | 1 | 1 | 8 | 10 | 0 | |
Sommeil paradoxal – rêve | 5 | 3 | Theta | 3 | 5 | 5 | 8 | 5 |
Transe chamanique | 6 | 6 | Theta | 8 | 6 | 7 | 2 | 4 |
Hypnose I (thérapie, transe légère) | 5 | 4 | Alpha | 4 | 6 | 7 | 5 | 6 |
Hypnose II (transe spectacle) | 5 | 3 | Theta | 3 | 6 | 7 | 5 | 6 |
Hypnose III catalepsie, léthargie | 2 | Theta | 2 | 8 | 8 | 4 | ||
NDE (Near Death Experiment) | 8 | Theta | 7 | 5 | 8 | 4 | ||
OBE (Out of Body Experience), voyage astral | 10 | Theta | 5 | 7 | 5 | 8 | 5 | |
Veille, activité courante, automatique | 3 | 5 | Beta | 9 | 9 | 0 | 3 | 10 |
Veille absorption, création (musique, peinture, artisanat, examen, réflexion intense, heuristique, etc.) | 1 | 6 | Gamma | 10 | 10 | 4 | 8 | 10 |
Clairvoyance | 8 | 6 | Gamma | 8 | 6 | 4 | 2 | 8 |
Saṃprajñāta-samādhi (sans support avec mental) | 8 | 10 | Gamma | 10 | 10 | 4 | 10 | 5 |
Savitarka-samādhi (avec support grossier et mental) | 6 | 10 | Gamma | 10 | 10 | 4 | 8 | 5 |
Savicāra-samādhi (avec support subtil et mental) | 6 | 10 | Gamma | 10 | 10 | 4 | 5 | 5 |
Asaṃprajñāta ou nirbīja samādhi (sans support sans mental) | 10 | Theta | 6 | 5 | 10 | 10 | 0 | |
Nirvitarka-samādhi (avec support grossier, sans mental) | 6 | Theta | 6 | 5 | 10 | 8 | 0 | |
Nirvicāra-samādhi (avec support subtil, sans mental) | 8 | Theta | 6 | 5 | 10 | 5 | 0 | |
Relaxation légère | 6 | 6 | Alpha | 5 | 7 | 4 | 8 | 8 |
Yoga nidra (yoga du rêve) | 4 | 4 | Theta | 5 | 7 | 4 | 4 | 6 |
Légende : La perception (l’étendue de la conscience, en ordonnée) est corrélée à la vigilance (le degré de conscience – level of Arousal, en abscisse). Les humains connaissent un continuum le long de cette corrélation (ligne rouge), allant de ~ 3,3 (x, y) à 9,9 (délimité par des lignes doubles), incluant également un état de rêve paradoxal pendant le sommeil paradoxal REM (~ 3,5 à 5 , 9). Les états pathologiques (ovales en pointillés) incluent une gamme de conditions qui se produisent souvent lorsque la perception et la vigilance ne sont plus corrélées, ou existent aux extrémités du continuum de corrélation (c’est-à-dire <3,3 ou> 9,9). L’anesthésie (ovale à une seule ligne) couvre un large éventail du continuum de corrélation et peut être quantifiée à l’aide de mesures de perte de réponse, telles que la perte de rappel (6,6) et la perte de conscience (L de C; 5,5) ainsi que d’autres mesures comme l’EEG et ont évoqué des potentiels pour des niveaux plus profonds d’anesthésie, tels que la perte de réponse à la douleur chirurgicale (immobilité; <2,2). Il est possible de quantifier certains de ces niveaux en utilisant les classifications de Guedel (I, II, III à IV) ou en utilisant l’EEG de reconnaissance de nom ou de visage, les potentiels évoqués, l’IRMf et l’examen neurologique. Notez que certains états physiologiques, pathologiques et anesthésiques normaux semblent coexister le long du continuum, tels que: sommeil profond, coma et anesthésie, il reste donc à découvrir des différences mécaniques qui discriminent ces états à un niveau plus fondamental. Un objectif important des neurosciences est de caractériser les états conscients au niveau des circuits des neurones, des synapses et des molécules. Adapté de Laureys et al 2007 (Consiciousness and Cognition).[2]
Cette figure issue de (Investigating the Phenomenological Matrix of Mindfulness-Related Practices From a Neurocognitive Perspective Antoine Lutz, Amishi P. Jha, John D. Dunne, Clifford D. Saron) cartographie deux pratiques standard liées à la pleine conscience : la méditation de l’attention focalisée (FA) et la méditation ouverte (OM), et trois états mentaux (Rumination, Errance mentale et Addiction) pertinentes pour la psychopathologie dans un espace phénoménologique multidimensionnel. Exp et Nov représentent les pratiquants Experts et Novices.
Dans les contextes traditionnels et cliniques, la capacité de maintenir une conscience accrue des pensées, des comportements, des émotions et des perceptions est considéré comme une caractéristique centrale de la méditation de pleine conscience. Le processus cognitif de méta-conscience a un rôle central dans de nombreuses pratiques de méditation. Les auteurs proposent deux catégories principales de méditation attentionnelle, ainsi que deux sous-catégories.
- Les pratiques d’attention focalisée (FA) qui impliquent un rétrécissement de l’attention et la concentration sur un seul objet. La présence d’une méta-conscience distingue la stabilité attentionnelle obtenue grâce à cette forme de méditation d’autres formes d’absorption, telles que l’attention constante qui se produit lorsque l’on est engagé dans une conversation captivante ou jouer à un jeu intéressant.
- Les pratiques de conscience ouverte (OM) impliquent aussi la méta-conscience, mais elles ne consistent pas à sélectionner un objet spécifique pour orienter son attention. Le champ d’attention est élargi pour intégrer le flux des perceptions, pensées, contenu émotionnel et / ou la conscience subjective. Elles peuvent être divisées en «OM orienté objet», ce qui implique diriger son attention sur les pensées, les perceptions et les sensations qui entrent dans le champ de la conscience, et « OM de reconnaissance de la qualité la conscience elle-même ». (source : Reconstructing and deconstructing the self: cognitive mechanisms in meditation practice Cortland J. Dahl, Antoine Lutz, and Richard J. Davidson)
Les trois dimensions principales de cet espace euclidien sont l’Orientation de l’objet, la Déréification et la Méta-conscience. Les quatre dimensions secondaires correspondent aux qualités d’ouverture, de clarté, de stabilité et d’effort. Ces quatre qualités sont représentées, respectivement, par le diamètre d’un cercle, la couleur de remplissage du cercle, la couleur du périmètre du cercle et par la largeur d’une tige de support.
Ici, l’errance mentale est représentée comme un état d’absorption sans effort
(ligne pointillée) (faible méta-conscience) où le contenu de l’expérience est
phénoménalement
interprété comme une représentations précises de la réalité (faible
déréification).
Le désir addictif est représenté comme un état fortement et à plusieurs reprises orienté vers l’objet de dépendance (orientation élevée des objets).
La rumination est représentée comme un état où la personne est consciente de pensées intrusives stables (méta-conscience) qui sont, cependant, toujours perçues comme «réel» (faible déréification).
La dimension de la dérérification reflète la mesure dans laquelle
les pensées, les sentiments et les perceptions sont interprétés de façon phénoménale
comme des processus mentaux plutôt que comme des représentations précises
de la réalité. Une faible déréification est une faible capacité à avoir du recul sur ses propres schémas et pensées. Une forte réification témoigne d’une plus grande prise de recul.
L’expert du sommeil, J. Allan Hobson a développé un «modèle AIM» 3D dont les dimensions sont «activation», «déclenchement entrée-sortie» et «modulation». Son analyse est basée sur les effets de différents neurotransmetteurs. La conscience subit des changements d’intensité, de concentration et de mode de fonctionnement au fur et à mesure que le cerveau passe du réveil au mouvement paradoxal en passant par le sommeil paradoxal. La base cérébrale de ces changements de conscience implique la régulation du niveau d’activation (A), qui régit l’intensité; la porte d’entrée-sortie (I), qui régit la focalisation de l’information; et la modulation chimique (M), qui régit le mode de fonctionnement. Ces trois facteurs peuvent être quantifiés à l’aide de données neurobiologiques. À partir de ces données, il est possible de construire un modèle tridimensionnel d’activation / information / mode (AIM), qui décrit un espace cerveau-esprit qui est utile pour comprendre et visualiser les changements de conscience dépendant de l’état. Hobson, J.A. 2010, The AIM Model of Dreaming, Sleeping, and Waking Consciousness
[1] Conscience and cognition Self-consciousness in non-communicative patients, Steven Laureys, Fabien Perrin, Serge Bredart p724, 2007
[2] https://web.stanford.edu/group/maciverlab/Laureys_C&C2007.pdf
Stanford Institute for Neuro-Innovation & Translational Neuroscience https://web.stanford.edu/group/maciverlab/Concious.html
Ping :UNE CLASSIFICATION DES ÉTATS DE CONSCIENCE – Institut Phusis